Visages de 1812

Black-and-white drawing of a vehicle resembling a flying saucer. There are various annotations, measurements and dimensions written on the paper.

Cette année, le Canada souligne le 200e anniversaire de la guerre de 1812. Il s’agit d’une occasion unique pour tous les Canadiens d’être fiers de leurs traditions et de l’histoire qu’ils partagent. Par conséquent, Bibliothèque et Archives Canada a monté l’exposition Visages de 1812, qui présente plusieurs articles de collection en lien avec la guerre. Dans cet épisode, le professeur Michael Eamon se joint à nous pour discuter de son travail de conservateur, de certaines des œuvres présentées, des raisons qui ont incité à monter l’exposition et de l’importance que revêt la guerre de 1812 pour tous les Canadiens.

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Publish Date: 30 octobre 2012

  • Transcript of podcast episode 5
    Angèle Alain: Bienvenue à Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire. Ici Angèle Alain, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections numériques, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.

    Cette année, le Canada célèbre le 200e anniversaire de la guerre de 1812. C’est une occasion unique pour tous les Canadiens d’être fiers de leurs traditions et de leur histoire commune. Le gouvernement du Canada considère la guerre de 1812 comme un moment marquant de l’histoire de notre nation et il a de grands projets pour commémorer cet événement d’importance nationale et internationale. Cette commémoration fait partie des nombreuses activités qui rassemblent les Canadiens et qui continueront de nous unir au cours des années à venir.

    Le 18 juin 1812, les États Unis déclarent la guerre à la Grande-Bretagne et à ses colonies de l’Amérique du Nord britannique, qui forment le centre et l’est du Canada actuel. Les troupes britanniques, aidées par des miliciens francophones et anglophones et des alliés des Premières Nations, repoussent les invasions américaines pendant plus de deux ans. À la fin de la guerre, les bases de la Confédération sont en place pour que le Canada devienne un nouveau pays indépendant en Amérique du Nord.

    Bibliothèque et Archives Canada [BAC] possède une vaste et unique collection de documents sur les hommes et les femmes dont la vie a été bouleversée par la guerre de 1812. À l’occasion de la célébration du bicentenaire de la guerre par le gouvernement du Canada, BAC a numérisé et rendu accessible en ligne une bonne partie de sa collection sur la guerre de 1812, y compris des feuilles d’appel, des listes de paie du Haut-Canada et du Bas-Canada, des réclamations pour pertes subies, des certificats de service, des registres de médaille, des lettres et de la correspondance. Pour avoir accès à tous nos nouveaux documents numérisés, comme notre dernier album Flickr, cliquez sur le lien vers le portail de la guerre de 1812 sur la page d’accueil de BAC. En plus de numériser ses documents, BAC expose un certain nombre de pièces de collection sur la guerre de 1812 au Musée canadien de la guerre à Ottawa. Cette exposition intitulée Visages de 1812 a été inaugurée le 13 juin 2012 et vous pourrez l’admirer jusqu’au 6 janvier 2013.

    Restez à l’écoute jusqu’à la fin de l’épisode pour en savoir plus sur les portails électroniques du gouvernement fédéral et de BAC au sujet de la guerre de 1812.

    Dans cet épisode, on va discuter avec Micheal Eamon, historien professionnel et professeur d’histoire publique à l’Université Trent. Michael va nous parler de la conservation et de la mise sur pied de l’exposition Visages de 1812. Il va aussi expliquer comment il a choisi les pièces pour l’exposition et pourquoi la guerre de 1812 est importante pour tous les Canadiens.

    Bonjour Michael, merci d’être ici aujourd’hui. Bibliothèque et Archives Canada vous a demandé d’être le conservateur de l’exposition Visages de 1812 du Musée canadien de la guerre. En quoi ça consiste exactement?
     

    Michael Eamon: Quand ils m’ont demandé de faire l’exposition, ils ont dit : « Mike, pourrais tu rassembler des tableaux représentant la vie quotidienne et des portraits de Canadiens ordinaires qui seraient les visages de la guerre de 1812? », parce que l’exposition s’appelle justement Visages de 1812. Le problème, c’est qu’on ne fait pas le portrait des Canadiens ordinaires au début des années 1800, alors j’ai été obligé d’élargir l’étendue de l’exposition et d’ajouter ce qu’on appelle l’art documentaire : les paysages, différents types d’images représentant des personnes, comme des tableaux ou des dessins, et d’autres sortes de pièces comme des globes terrestres et des cartes. Donc en plus de montrer les visages des gens, je montre les endroits où ils vivent.
     
    AA: Comment vous choisissez les pièces qui vont faire partie de l’exposition quand les options sont si nombreuses?

    ME: C’était très difficile. On a commencé avec environ 200 pièces et on a diminué la liste petit à petit. Il faut préciser que l’exposition est à l’avant du Musée canadien de la guerre, juste à côté de l’espace réservé aux expositions temporaires. Ils sont en train d’organiser une très grande exposition sur la guerre de 1812 à cet endroit là. Alors on voulait être sûrs que notre exposition allait compléter celle du Musée et qu’elle n’aborderait pas les mêmes enjeux. Vu que c’est une exposition complémentaire, une sorte d’échantillon, on a commencé avec 200 pièces et on fait un tri pour choisir environ 30 des meilleures pièces parmi les 200.

    AA: Donc vous avez choisi du matériel, mais aussi des points de vue sur la guerre?

    ME: Quand on crée une exposition pour un musée, on tient toujours compte de nombreux aspects pour essayer d’attirer et d’intéresser le public. On ne présente pas juste une exposition avec des images affichées sur un mur, on veut provoquer les gens. Ça ne veut pas dire qu’on veut les scandaliser. La provocation, dans le sens d’un musée, c’est d’inciter les gens à réfléchir sur le contenu.

    AA: Je vois.

    ME: Beaucoup de personnes savent que Louis Joseph Papineau est le chef rebelle modéré pendant les rébellions du Bas Canada de 1837. Il est président de l’assemblée du Bas Canada pendant longtemps, il est avocat et, en 1834, il aide à rédiger les 92 résolutions qui lancent, ou plutôt qui visent à lancer, le dialogue du changement au Québec et en politique québécoise. Alors beaucoup se demandent pourquoi on parle de lui dans une exposition sur la guerre de 1812.

    AA: Exact. Je voulais justement poser la question.

    ME: La raison c’est que la guerre de 1812 a influencé bien des personnes. Louis Joseph Papineau est vivant à cette époque là et il fait partie de la milice canadienne. Évidemment, le conflit contre les États Unis a façonné les idéologies et la façon de penser de bien des gens, dont Louis Joseph Papineau. Ça montre aussi pendant combien de temps la guerre a laissé une marque profonde sur la structure politique du Haut-Canada et du Bas Canada. En fait, l’anti américanisme était tellement fort pendant les premières décennies après la guerre qu’on ne pouvait pas parler de la république et d’un nouveau mode de gouvernement dans la bonne société. Des personnes comme Louis Joseph Papineau sont donc obligées de suivre un chemin plus modéré. C’est vrai que d’autres se rebellent de façon plus radicale, mais la modération de Louis Joseph Papineau vient en partie de son expérience au sein du gouvernement et de la milice.

    AA: Est-ce que Papineau participe à la guerre de 1812?

    ME: Il est capitaine, mais il fait partie du cabinet du juge avocat général. Il travaille donc comme avocat et il s’occupe des questions juridiques qui se présentent au cours de la guerre.

    AA: Est ce que Papineau ajoute une dimension francophone à la guerre?

    ME: Absolument! En tant que Canadien français (il est né à Montréal), il représente un grand contingent de francophones qui combattent à la guerre. En fait, la guerre réunit des Canadiens français et anglais, des membres des Premières Nations et bien sûr les Britanniques contre un ennemi commun. À l’époque de la guerre, ou un peu avant, les tensions linguistiques et politiques sont vives au Bas Canada. Ainsi, la guerre a arraché les gens de leurs conflits personnels et a créé pour tous une cause commune contre laquelle ils se sont battus.
     
    AA: Parlons maintenant du portrait de sir Isaac Brock. Qu’est ce qu’il a de si spécial?

    ME: C’est une des images d’Isaac Brock les plus emblématiques qu’on a. Elle est tellement populaire que le gouvernement du Canada l’a utilisé sur le site Web officiel de la commémoration de la guerre de 1812. Il y a quatre images clés qui représentent les principaux acteurs de l’époque et ce tableau en fait partie. C’est un tableau fascinant parce qu’il a été peint en 1897, bien après la mort de Brock. Je dirais qu’il fait appel à notre « imagination historique », à notre idée du passé. Bon nombre des tableaux inclus dans l’exposition n’ont pas été peints pendant la guerre de 1812, mais après. Je comparerais ça aux films historiques d’aujourd’hui, qui reconstituent l’idée que le réalisateur se fait du passé. Avant l’arrivée du cinéma, les tableaux historiques donnaient une idée de la perception du passé dans l’esprit du public.

    AA: Donc le portrait en dit long sur l’artiste?

    ME: Tout à fait. Il est inspiré d’un croquis que l’artiste a découvert à Guernesey, une des îles de la Manche sur laquelle Brock est né. L’artiste est allé voir le lieu de naissance de Brock, il a trouvé cette image à leur domicile et il s’en est inspiré pour faire le portrait de Brock. Ça montre l’effort de recherche qui a mené à la création du tableau et ça nous en apprend un peu sur l’artiste John Wycliffe Forster lui même et sur son côté romantique. Mais c’est aussi le signe que le grand public a adopté le portrait comme la principale image d’Isaac Brock. Quand vous pensez à Isaac Brock, c’est cette image là qui vous vient en tête.

    AA: Pouvez vous nous expliquer le rôle de Brock durant la guerre?

    ME: Sir Isaac Brock est un administrateur civique et un général très apprécié. Ce qui est curieux, c’est qu’il joue un double rôle dans la guerre de 1812. En tant que chef militaire, il est bien aimé de ses hommes. Avant la guerre, on lui demande de régler les problèmes au fort George et au Haut Canada. Il réussit à régler les problèmes entre les soldats, comme les luttes intestines. Ensuite, il est nommé gouverneur civil, ou lieutenant gouverneur du Haut Canada, et il dirige les forces du Haut Canada. Il n’a pas autant de succès en tant que gouverneur civil. Il essaie de s’expliquer auprès du pouvoir législatif du Haut-Canada et du Bas Canada [il y a une législature élue], il leur dit : « La guerre est proche. On le sait et on a besoin de plus d’hommes pour la milice et il faut suspendre l’habeas corpus. Il faut prendre ce type de mesures pour aider le pouvoir civil à faire la guerre. » Évidemment, la législature du Haut Canada est remplie de loyalistes, qui sont fondamentalement des Américains venus au pays pendant la révolution américaine et un peu après, et ils répondent : « Est ce qu’on veut vraiment suspendre les droits civils? Êtes vous sûr qu’il va y avoir une guerre? On va vous donner un peu d’argent pour la milice, mais arrêtez de nous ennuyer Brock. » Brock doit aussi se battre contre un autre gentleman du nom de George Prévost. Prévost est gouverneur de l’Amérique du Nord britannique et son poste est à Québec. Selon lui, quand la bataille commencera, il faudra que la ville de Québec et le Bas Canada soient bien défendus. Brock lui dit : « Vous savez, quand la bataille va commencer, ça va être dans la péninsule du Niagara. » Ils ont d’autres désaccords aussi, et, comme on sait, Brock aura finalement raison, quand la guerre commence, les combats ont lieu dans la péninsule du Niagara, dans la région de Détroit et dans les environs. Brock a beaucoup de succès au début parce qu’il est préparé, il est prêt. Il gagne la bataille de Détroit et réussit à repousser les premières incursions américaines avant de mourir à la bataille de Queenston Heights au tout début de la guerre, en octobre 1812.

    AA: C’est pour ça qu’il est considéré comme un héros de la guerre?

    ME: Tout à fait. Il est très grand; il mesure plus de six pieds. Il est élégant, athlétique et aimé de ses soldats, mais comme j’ai dit, les autorités civiles, les législatures et les personnes de ce type ne sont pas aussi enthousiastes au sujet de Brock. Toutefois, il n’y a rien de mieux que de mourir au champ d’honneur pour devenir un héros universel, au point où les titres de « sauveur du Haut Canada » et de « héros du Haut Canada » lui sont attribués. Un des facteurs est que, pour le public de l’époque, un véritable héros pense avant tout aux autres et est prêt à mourir pour eux, et Brock meurt justement à Queenston Heights en menant la charge. De plus, les autorités américaines, britanniques et canadiennes ont toutes déploré sa mort, ce qui prouve que ses actes héroïques, sa nature et l’honneur qu’il démontre sur le champ de bataille plaisent à tout le monde.

    AA: Pourriez vous nous en dire plus sur l’œuvre d’art intitulée « La rencontre de Brock et Tecumseh en 1812 »?

    ME: C’est effectivement une œuvre bien intéressante qui est elle aussi emblématique. Je voulais satisfaire notre côté familier. On a donc utilisé des images de Louis Joseph Papineau qui sont inhabituelles et qui incitent les gens à se demander pourquoi cet homme est là et en quoi il est important pour la guerre de 1812. D’un autre côté, des images comme celles de Brock ou de la rencontre entre Brock et Tecumseh font partie de ce que les études sur les musées et la conservation appellent le familier. Les personnes qui visitent un musée ou un site veulent apprendre, mais ils veulent aussi confirmer la véracité de ce qu’ils ont appris. Ils veulent voir des choses qu’ils s’attendent à voir, et c’est là le rôle du familier. Ce tableau a été peint par C. W. Jefferys, un des plus grands peintres historiques du Canada. Tout comme le portrait de Brock peint par Forster, le tableau de C. W. Jefferys a été peint bien longtemps après la guerre de 1812, près de 100 ans après pour être précis. Il stimule notre imagination historique, car quand on pense à la guerre de 1812 ou à de nombreux éléments de la vie canadienne, on pense aux tableaux de C. W. Jefferys, qui manifestent la perception romantique du passé du peintre. Je ne veux pas dire que cette vision est nécessairement correcte, il a bien fait ses recherches et il est très bon dans son travail, mais ces tableaux sont le fruit de son imagination historique.

    AA: C’est une interprétation.

    ME: C’est une interprétation de ce qui s’est produit.

    AA: D’accord.

    ME: Quand Brock et Tecumseh se rencontrent, il n’y a pas de peintre ou d’artiste pour faire un croquis de la scène en se disant : « Voici un moment historique. » Brock et d’autres écrivent des choses sur la réunion et Brock respecte beaucoup le chef shawnee Tecumseh. Je voulais donc montrer cette image, d’abord pour montrer comment ces images perpétuent la mémoire de la guerre de 1812, mais aussi à cause du contenu lui même. Il s’agit d’une alliance importante entre les Premières Nations et les habitants de l’Amérique du Nord britannique.

    AA: Pouvez vous nous parler de Tecumseh? Qui est il et pourquoi sa relation avec Brock est importante?

    ME: Tecumseh est le chef des Shawnees, un peuple algonquin de la région de l’Ohio, dans les États Unis actuels. Je vais maintenant faire un bref rappel historique. Une des dispositions du traité de Paris signé en 1783 pour mettre fin à la Révolution américaine prévoit que les Britanniques doivent quitter leurs forts en territoire indien, c’est à dire en Ohio, pour laisser le champ libre à la colonisation américaine. Les Britanniques ne veulent pas partir, si bien que ça prendra un autre traité, le traité de Jay, connu aussi comme le traité de Londres de 1794, pour que les Américains disent « bon, ça suffit, il est temps d’évacuer les forts parce que c’est notre territoire maintenant », et les Britanniques quittent les forts à contrecœur. Pendant cette période, les Britanniques nouent des alliances avec les Premières Nations de la région. Quand les Américains commencent à arriver, évidemment, ils entrent en contact et une série de conflits assez violents éclatent entre les Premières Nations et les Américains, les deux camps commettent des atrocités. Les Shawnees sont un des peuples qui ont vu les Américains arriver et les colons s’établir en Ohio. Le conflit s’aggrave et la Louisiane est achetée en 1803 – c’est l’époque où la France possède une bonne partie des États Unis actuels et décide de vendre le territoire pour 15 millions de dollars seulement, ce qui est toute une affaire pour les États Unis qui doublent leur territoire. Si les Américains croient que tout le continent leur appartient, le fait de doubler leur territoire d’un seul coup les conforte dans leur théorie. Ils incitent de plus en plus leurs habitants à se rendre vers l’ouest, va à l’ouest jeune homme, toujours plus à l’ouest, mais évidemment il y a déjà des peuples qui vivent à l’ouest, comme les Shawnees. La crise atteint son paroxysme en 1811, à la bataille de Tippecanoe, juste avant la guerre de 1812. Le frère de Tecumseh, qu’on surnomme le Prophète parce que c’est un homme très spirituel, subit la défaite contre des colons américains et les tensions atteignent un point culminant. Tecumseh, même si les Shawnees sont indépendants, considère qu’il est important de s’allier officiellement avec Brock et les Britanniques, car il voit la tempête se dessiner, il sait ce qui s’en vient, et les Britanniques ont toujours été cordiaux et alliés avec eux, alors de tous les alliés possibles, ce sont les meilleurs partenaires. Ainsi, quand la guerre éclate, les Shawnees et bien d’autres Premières Nations combattent au côté des Britanniques.

    AA: Pouvez vous décrire le tableau de Brock et Tecumseh?

    ME: C’est un tableau très riche peint avec des couleurs chaudes. Ce n’est pas un portrait; il montre la rencontre entre les hommes : Tecumseh porte une tenue autochtone de couleur terre et des apparats autochtones; Brock, dans sa tunique rouge, serre la main de Tecumseh. C’est une œuvre empreinte d’émotion et, comme les autres œuvres de l’époque édouardienne, elle représente le romantisme et la virilité, ainsi qu’une rencontre entre égaux.

    AA: Vous avez aussi choisi une œuvre avec une autre personnalité historique importante de l’histoire canadienne, Laura Secord. Qu’est ce que l’œuvre représente et pourquoi elle est importante?

    ME: Tout comme le tableau de C. W. Jefferys représentant la rencontre entre Brock et Tecumseh, cette œuvre montre la rencontre de deux personnes. Laura Secord, dans une posture dramatique, raconte son histoire au lieutenant Fitzgibbon, qui écoute attentivement. Là aussi, la scène se passe dans les quartiers généraux, à l’intérieur d’une cabine où l’on voit des plans, des tables et d’autres soldats. On a encore une fois l’impression d’être à un point névralgique de la frontière, mais au lieu d’être celui de Brock, c’est celui qui est gardé par le lieutenant Fitzgibbon. L’histoire est que, avant la bataille de Beaver Dams, l’époux de Laura Secord est blessé et récupère dans sa maison quand elle apprend que les Américains veulent attaquer Beaver Dams, alors elle parcourt 30 kilomètres à pied pour se rendre au quartier général et avertir le lieutenant Fitzgibbon que les Américains prévoient attaquer bientôt. Il y a maintenant deux versions de l’histoire. Certains disent que Fitzgibbon est déjà au courant, qu’il répond « Merci beaucoup d’être venue », qu’il apprécie la visite de Laura Secord, mais que tout est sous contrôle. Une autre version dit l’inverse, que Laura Secord joue un rôle essentiel en avertissant les autorités de l’imminence d’une attaque américaine. Dans certaines versions elle a une vache, dans d’autres elle n’en a pas. C’est fou de voir à quel point la mémoire historique et le mythe se confondent.

    AA: Surtout quand les œuvres d’art sont produites 50 ou 100 ans après les faits.

    ME: Exact, et ce qui est fascinant à propos de Laura Secord, c’est que personne ne sait à quoi elle ressemble, car aucun portrait d’elle n’est peint durant sa vie, ce qui soulève d’autres questions. Dans l’exposition, nous montrons cette image, qui a elle même une longue histoire, et on se demande pourquoi aucun portrait de Laura Secord, une véritable héroïne de la guerre de 1812, n’a été peint.

    AA: Quel a été le rôle des femmes en général dans la guerre de 1812?

    ME: C’est une question fascinante des deux côtés. Des héroïnes comme Laura Secord se signalent et, du côté des Américains, il y a Fanny Doyle. Nous avons d’ailleurs une image d’elle dans l’exposition. Fanny Doyle manie les canons au fort Niagara et aide à repousser l’envahisseur britannique. Il y a donc de nombreux récits de femmes héroïques. Mais bien entendu, les femmes accompagnent les hommes de différentes façons. Nous avons le portrait d’une veuve de Kingston qui élève sa famille et, quand Kingston devient l’un des principales bases navales des Canadas, elle entend le bruit et voit l’horreur et la tragédie de la guerre partout autour d’elle. Les femmes soutiennent aussi leurs maris, évidemment. Il y a une limite à ce que les femmes peuvent faire en raison de leur rôle dans la société de l’époque, mais il y a des veuves qui soutiennent leur famille et qui assument un rôle important; elles entretiennent la flamme à leur domicile pour leurs fils ou, si elles sont mariées, pour leurs maris partis au combat. Les femmes ont joué un rôle essentiel dans la sauvegarde de la collectivité, mais il n’y a pas eu assez de recherches à ce sujet. Certaines personnes comme Diane Graves ont écrit des textes sur le rôle des femmes à la guerre de 1812, mais on pourrait en faire beaucoup plus pour étendre notre savoir à ce sujet.

    AA: Voici maintenant l’archiviste Patricia Kennedy de Bibliothèque et Archives Canada. Elle vient nous parler du rôle important des femmes durant la guerre de 1812.

    Patricia Kennedy: Les femmes ont joué un plus grand rôle qu’on le pense en général. Un des problèmes est que, jusqu’à récemment, la majorité des œuvres historiques étaient écrites par des hommes, et comme l’histoire est généralement écrite par les vainqueurs, c’est leur point de vue que nous connaissons. Ces historiens ne nous en disent pas beaucoup sur les femmes, les enfants, les Autochtones et d’autres minorités. Pourtant, il y a des sources d’information très riches sur la vie des femmes. Si on regarde les réclamations pour pertes subies durant la guerre de 1812, on voit qu’elles sont souvent déposées par des veuves ou par des femmes dont les maris sont temporairement absents. On y trouve de nombreux détails sur leur situation familiale, leurs expériences et leur niveau de scolarité. Toutes ces sources ne demandent qu’à être étudiées. Une bonne partie des chercheurs qui utilisent les ressources de Bibliothèque et Archives Canada découvriront des choses qu’ils n’ont pas trouvées dans des livres d’histoire, qui sont rédigés par des historiens qui ont un point de vue particulier et qui laissent tomber certains détails. Ceux qui étudient eux mêmes les documents découvrent des choses que les historiens n’ont pas jugé bon de mentionner dans leur livre d’histoire.

    AA: L’exposition comprend deux œuvres sur le combat naval qui oppose le Shannon au Chesapeake. Pouvez vous nous en dire plus sur ces œuvres?

    ME: Oui, je les ai ajoutées à l’exposition parce que quand on pense à la guerre de 1812, on pense souvent à la campagne du Haut Canada. Parfois on pense au lac Champlain, au fleuve Saint Laurent et à Charles de Salaberry dans cette région là du Québec, mais les batailles de la guerre de 1812 se sont déroulées à bien des endroits. Un des grands théâtres de guerre, ou plutôt une zone d’opérations, désolée, est l’océan Atlantique.

    AA: Nous sommes maintenant en compagnie de Timothy Dubé de Bibliothèque et Archives Canada. Il vient nous parler de l’importance des combats navals lors de la guerre de 1812 et de la richesse des ressources documentaires de BAC à ce sujet.

    Timothy Dubé: La Marine royale britannique a plus de 600 navires de combat en service pendant la guerre de 1812, contre 8 frégates et 14 sloops et bricks de combat pour les Américains, et ces navires ne peuvent servir que dans l’Atlantique. Les Britanniques imposent un blocus aux ports américains. Les navires américains lancent des raids éclairs contre les vaisseaux britanniques, mais ils ne parviennent pas vraiment à perturber la navigation britannique. Les deux belligérants ont aussi recours à des corsaires autorisés sous licence. La guerre de course peut être très profitable, mais elle est aussi dangereuse. Bibliothèque et Archives Canada possède des documents sur les butins pris par les vaisseaux de la Marine royale et les corsaires néo écossais sur l’Atlantique et des lettres écrites par des capitaines et des lieutenants.

    ME: La façon dont les Britanniques contrôlent les voies navigables déplaît souverainement aux Américains parce que les navires britanniques arraisonnent les vaisseaux américains à leur gré et ils enrôlent les marins de force. Les Britanniques disent aux marins enrôlés, vous êtes des marins de la Marine royale, vous avez déserté et on vous reprend à notre service. Les Américains sont évidemment outrés, car comment on peut distinguer un sujet né en Grande-Bretagne d’un sujet américain? Ils ont souvent le même accent et le droit britannique stipule qu’un sujet né en Grande-Bretagne demeure toujours un sujet britannique. C’est pour ça que les Britanniques considèrent qu’ils ont le droit d’enrôler les marins américains par la force. L’océan Atlantique et les combats navals sont particulièrement féroces à cause du ressentiment qui existe depuis longtemps entre les Britanniques et les Américains. En juin 1813, le Shannon, un navire britannique, rencontre le Chesapeake, un vaisseau américain. Le capitaine du Chesapeake, le vaisseau américain, s’appelle James Lawrence et le capitaine du Shannon se nomme Philip Broke. Broke est un passionné. Il aime l’artillerie et il aime entraîner ses hommes. Quand ils lui demandent de prendre une pause, il répond « Non, on continue de s’exercer avec les canons », alors ils continuent de manipuler les canons et de tirer. L’artillerie navale est un art. Ça fait partie des combats les plus féroces et sanglants parce que les canons ne contiennent pas seulement des boulets : il y a les obus à mitraille, c’est à dire un obus rempli de petites balles, qui fait comme des coups de fusil; et des boîtes à mitraille, des obus remplis de grosses balles qui peuvent enlever un membre.

    AA: Ou détruire le côté d’un navire…

    ME: Ou détruire le côté du navire! Il y a le boulet à chaîne, le boulet ramé, divers boulets qui visent seulement à détruire le cordage des navires. Quand les combats navals se déroulent, on a l’idée romantique, assez proche de la réalité, du feu de bordée, quand deux navires, au lieu de s’affronter face à face…

    AA: … se mettent côte à côte…

    ME: … se mettent côte à côte, et donnent tout ce qu’ils ont dans le ventre, si vous permettez l’expression. Le vainqueur est le dernier survivant. Eh bien, en juin 1813, les deux navires Shannon et Chesapeake engagent le combat. Ils sont environ 40 kilomètres à l’est de Boston, ça vous donne une idée de l’ampleur de la guerre. Ça n’a pas lieu sur les Grands Lacs ou à l’extérieur de Halifax, mais près de Boston. Les deux navires s’aperçoivent, s’approchent à 35 mètres de distance côte à côte et ils déclenchent leur feu de bordée. Ils échangent des salves pendant six minutes environ. La théorie habituelle dit qu’il faut détruire le cordage de l’adversaire pour que le navire soit inutilisable. Par contre, Broke décide de tirer ses boulets sur les ponts des canons du navire américain. Quand ils tirent le feu de bordée, ils éliminent presque la puissance de feu des Américains et ils détruisent une bonne partie de la structure du navire. En fait, les deux navires (pendant le combat de six minutes) sont touchés. Puis, dans un scénario digne d’un roman de cape et d’épée, des cordes sont lancées entre les deux navires et Broke dirige l’abordage. Les combats durent encore 13 minutes sur le pont, ce sont des combats sanglants au corps à corps. L’exposition a deux images à ce sujet : la première est une image très romantique du combat sanglant au corps à corps sur le pont du Chesapeake, l’autre est une caricature qui se moque des Américains et de leur lâcheté. En fait, les Américains ne sont pas lâches du tout. Le combat est acharné et dévastateur. Les Britanniques l’emportent et les deux capitaines, Broke et Lawrence, sont blessés. Lawrence succombe à ses blessures et Broke a perdu une partie de sa tête. À cause de sa grave blessure à la tête, c’est un lieutenant, un officier subalterne, qui ramène les deux navires à Halifax. Dans la guerre de 1812, les Britanniques ou la Marine royale devraient dominer. La Marine royale est la plus puissante du monde, mais elle perd une bonne partie des batailles. Alors le combat entre le Shannon et le Chesapeake suscite une grande fierté chez les Britanniques, il ravive leur orgueil et confirme qu’ils sont encore les meilleurs. C’est pour ça que l’image très romantique est diffusée à grande échelle en Angleterre pour montrer qu’on est « de retour au sommet et que ces hommes sont des héros, tout comme Brock. » La différence est que le capitaine Broke ne meurt pas, mais ça montre encore une fois un sentiment de dévouement à la cause et une idée du combat romantique qui a eu lieu. Je répète que la caricature montre à quel point les Américains sont faibles et lâches quand vient le temps de combattre.

    AA: Quelle est l’incidence de cette bataille sur l’issue de la guerre de 1812?

    ME: La bataille elle même n’a pas eu une grande influence sur les combats en général, mais elle est très importante dans la guerre de propagande parce que les gens ont l’impression que la Marine britannique est de retour au sommet et les Américains subissent la honte de voir leur navire capturé.

    AA: C’est une guerre psychologique.

    ME: Absolument. Une bonne partie de la guerre d’aujourd’hui, ou d’il y a 200 ans, est une guerre psychologique comme vous dites.

    AA: Le moral, la fierté…

    ME: Ceux qui n’ont jamais entendu parler du combat entre le Shannon et le Chesapeake ont peut être entendu la phrase « N’abandonnez pas le navire! » C’est une phrase hurlée par le capitaine James Lawrence, capitaine américain du Chesapeake, avant de mourir au combat. Il y a plusieurs exemples de phrases comme ça qui viennent de la guerre de 1812 et qui ont fait partie de notre mémoire collective, mais c’est fascinant de constater que beaucoup de personnes n’en connaissent pas l’origine. Par exemple, beaucoup de gens peuvent dire « N’abandonnez pas le navire! », et cette phrase vient de la guerre de 1812.
     
    AA: Qu’est ce que les visiteurs pourront retirer de l’exposition?

    ME: Je pense d’abord que ce sera fascinant de regarder une personne qui a vu la guerre de 1812 droit dans les yeux. Les portraits représentent des personnes qui sont aux premières loges du conflit. Ils ont été peints au moment de la guerre ou juste après et on peut voir les yeux des gens qui ont vécu la tragédie, les grandes épreuves et le bouleversement politique de l’époque. L’autre intérêt est de savoir quelle est l’idée qu’on se fait de la guerre de 1812. Alors en plus des portraits et des tableaux qui représentent des personnes vivant le conflit et qui sont peints à l’époque de la guerre, il y a des portraits peints bien plus tard, parfois 100 ans après la guerre, et ils montrent comment nous continuons de percevoir la guerre de 1812 et comment cette guerre fait partie de nos vies modernes. Enfin, la grande quantité de pièces culturelles, c’est à dire les archives (pas seulement les tableaux, les portraits et l’art documentaires, mais aussi les globes, les cartes et les documents textuels) donnent une idée de l’étendue de la collection de Bibliothèque et Archives Canada et de notre empreinte humaine. Vous savez, on laisse beaucoup de choses derrière nous. Une bonne partie est perdue, brûlée ou détruite, mais on laisse quand même une empreinte, et une exposition comme celle là est importante parce qu’elle fait le pont entre notre époque et l’empreinte du passé.

    AA: Qu’est ce que les Canadiens peuvent apprendre à Bibliothèque et Archives Canada et nulle part ailleurs au sujet de la guerre de 1812?

    ME: Bibliothèque et Archives Canada, c’est un vrai trésor. C’est le dépôt de documents historiques le plus détaillé du pays. Vous me demandez ce qu’on pourrait y apprendre, moi je me demande ce que vous ne pouvez pas apprendre. On a des œuvres d’art documentaire, des globes terrestres et des cartes, des documents textuels, y compris des documents militaires, et des documents privés. Bibliothèque et Archives Canada est organisé pour recueillir tant les documents privés et individuels que les documents publics et gouvernementaux. C’est une institution unique en son genre. Par exemple, aux États Unis et en Grande-Bretagne, ils n’ont pas juste une institution pour s’occuper de tout ça. C’est donc une sorte de guichet unique sur l’histoire canadienne, notamment sur la guerre de 1812. Qu’est ce qu’on peut y trouver? Je me répète : qu’est ce qu’on ne peut pas trouver? Il y a les documents militaires publics et les documents gouvernementaux, mais aussi des journaux écrits par les Canadiens ordinaires qui racontent leurs épreuves. Il y a les tableaux et les expositions qui composent l’exposition, et beaucoup plus encore. Nous avons commencé avec une liste de 200 pièces pour l’exposition seulement. Il y a des milliers de pièces à découvrir.

    AA: Si je veux faire des recherches sur la guerre de 1812, par où je dois commencer?

    ME: Excellente question. Dans un sens, c’est très difficile tellement il y a de sites à visiter. Ils sont partout autour de nous et je pense que les gens sont conscients qu’on est en 2012, que 200 ans ont passé et qu’il est temps de commémorer la guerre de 1812. Une des meilleures places pour commencer est le portail du gouvernement du Canada sur la guerre de 1812. C’est un portail qui relie différents sites comme Bibliothèque et Archives Canada et Parcs Canada, qui ont investi beaucoup d’argent dans les commémorations de la guerre de 1812. Il y a beaucoup de sites à visiter, mais le portail est un excellent point de départ pour aller vers différents sites. Sur le site de Bibliothèque et Archives Canada, il y a de nombreux moteurs de recherche pour chercher différents types de documents. Je recommande vivement aux gens d’aller sur le site pour mener leurs propres recherches.

    AA: Pouvez vous me dire quel est l’aspect historique le plus intéressant de la guerre de 1812 selon vous?

    ME: Il y en a tellement! Dans un sens, la guerre de 1812 réunit les Canadiens français et anglais, les Premières Nations et les Britanniques contre un ennemi commun, et c’est extrêmement intéressant de voir que ça prend ce type d’événement pour rassembler les citoyens, mais qu’est ce qui arrive après? Une autre question que je trouve extrêmement intéressante est « pourquoi »? Je pense que c’est la question qu’il faut se poser. Ce n’est pas qui, quand ou comment, même si ce sont des questions importantes. Mais pourquoi, pourquoi la guerre de 1812 a eu lieu? Pourquoi la mémoire de certaines personnes perdure encore aujourd’hui tandis que d’autres sont oubliées? Pourquoi on se souvient encore de la guerre aujourd’hui? J’imagine que certaines personnes se disent « Je vis à Vancouver » ou « Je vis à Iqaluit, quelle est l’importance de la guerre de 1812 dans ma vie? » Concrètement, ce n’est pas un conflit très important pour ces régions parce que le territoire n’était pas organisé de la même façon qu’aujourd’hui et elles n’ont pas participé au conflit, mais la question « pourquoi? » est une question personnelle. Vous pouvez vous demander, en tant que Canadien, « Pourquoi c’est important pour moi? Pourquoi c’est important d’être Canadien et pourquoi notre histoire est importante? » Je pense que tous les Canadiens peuvent se poser ces questions là et raviver leur enthousiasme au sujet du conflit, des gens, des visages et des personnes qui ont contribué à faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui.

    AA: Merci de nous avoir visités aujourd’hui Mike.

    ME: C’est un grand plaisir, merci.

    AA: Pour en savoir plus sur les projets de commémoration du gouvernement du Canada sur la guerre de 1812, visitez le www.1812.gc.ca.

    N’oubliez pas de visiter l’exposition Visages de 1812 de Bibliothèque et Archives Canada au Musée canadien de la guerre à Ottawa, jusqu'au 6 janvier 2013. Ceux qui ne sont pas en mesure de s’y rendre peuvent consulter notre album Flickr, qui comprend de nombreuses œuvres faisant partie de l’exposition. Pour en savoir plus sur les projets commémoratifs de Bibliothèque et Archives Canada à l’occasion du bicentenaire de la guerre et consulter notre album Flickr, visitez le site Web suivant : www.collectionscanada.gc.ca/1812.

    Merci d’avoir été des nôtres. Ici Angèle Alain, votre animatrice. Vous écoutiez Découvrez Bibliothèque et Archives Canada – votre fenêtre sur l’histoire, la littérature et la culture canadiennes. Je remercie nos invités d’aujourd’hui, Michael Eamon, Timothy Dubé et Patricia Kennedy.

    Pour plus d’information sur nos balados ou si vous avez des questions, commentaires ou suggestions, veuillez nous visiter à www.bac-lac.gc.ca/balados.

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