Trésors dévoilés épisode 16 - Le dernier crampon

Coffre au trésor stylisé de couleur verte dans lequel se trouve la feuille d’érable de Bibliothèque et Archives Canada. Des rayons sortent du coffre. L’image porte le numéro 16. 

L’achèvement du Chemin de fer Canadien Pacifique a considérablement élargi notre accès à la nation, en établissant une liaison tant physique que symbolique entre les deux extrémités du pays. Bien qu’il soit généralement décrit comme une victoire dans le discours populaire sur le Canada, il a également entraîné le déplacement massif des populations autochtones et a servi de moyen d’exploitation, parfois jusqu’à la mort, des travailleurs ayant participé à sa construction. Joignez-vous à nous alors que Marcelle Cinq-Mars se penche sur l’image historique de ce moment et réfléchissons aux terres et aux vies qui ont été perdues au nom du progrès.

Durée : 18:00

Taille du fichier : 24.7 Mo Téléchargez MP3

Date de publication : 18 avril 2024

  • Transcription de Trésors dévoilés épisode 16

    Théo Martin (TM) : Bienvenue à Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire. Ici Théo Martin, votre animateur. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.

    Bienvenue à Trésors dévoilés!

    Dans cette série de balados, nous vous présenterons certains objets de la collection de Bibliothèque et Archives Canada, ou BAC. Dans chaque épisode, nous discuterons avec un employé de BAC pour mettre en lumière un élément qui, à son avis, représente un véritable « trésor » de la collection.

    Il peut s’agir de pièces rares, parfois inhabituelles ou précieuses, ou d’articles ayant une importance historique. Peut-être nos experts auront-ils également une histoire intéressante, voire fascinante à vous raconter! Tous mettront certainement en valeur notre vaste et riche collection qui constitue le patrimoine documentaire partagé par tous les Canadiens.

    Avant de commencer l’épisode d’aujourd’hui de Trésors dévoilés, nous souhaitons vous parler d’une nouvelle série passionnante qui sera lancée au printemps. Intitulée Voix dévoilées, elle s’appuie sur les vastes collections méconnues d’histoire orale conservées à Bibliothèque et Archives Canada afin de donner une voix aux communautés sous-représentées et marginalisées. La première minisérie de cette production, intitulée « Confidences de porteurs », porte sur les entretiens audio tirés du fonds Stanley G. Grizzle, plus précisément sur les expériences vécues par ces hommes noirs qui ont travaillé comme porteurs de voitures-lits pour les chemins de fer canadiens au cours du 20e siècle. Leurs récits, ainsi que ceux de leurs conjointes et de leurs enfants, mettent en lumière le racisme institutionnel, systémique et quotidien qu’ils ont dû endurer, tout en soulignant les stratégies essentielles qui leur ont permis de surmonter ces obstacles et de bâtir une communauté solide.

    Écoutez Raymond Lewis, un ancien porteur du Chemin de fer Canadien Pacifique qui figure dans cette nouvelle minisérie, parler de son passage sur les rails.

    (Début de la bande-annonce)

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    Passons maintenant à l’épisode 16 de Trésors dévoilés, « Le dernier crampon ».

    Plus de 30 millions de crampons en fer ont été nécessaires pour construire le chemin de fer du Canadien Pacifique. Ces crampons servent à fixer les rails d’acier aux traverses en bois.

    Le dernier a été cloué par Donald Smith, directeur de la société, le 7 novembre 1885. Pour souligner l’événement, les représentants du Canadien Pacifique et les travailleurs prennent la pose le temps d’une photo pendant une cérémonie à Craigellachie, près du col Eagle, dans la partie intérieure de la Colombie-Britannique.

    Marcelle Cinq-Mars (MCM) : Bonjour, mon nom est Marcelle Cinq-Mars et je suis archiviste à Bibliothèque et Archives Canada depuis 2007.

    TM : L’archiviste Marcelle Cinq-Mars est venue nous en dire plus sur cette photo de notre collection.

    MCM : Il s’agit d’une photographie noir et blanc qui a été prise le 7 novembre 1885 près du col Eagle, dans les Rocheuses canadiennes, en Colombie-Britannique. Sur cette photographie, on peut voir une quarantaine d’hommes qui sont réunis près d’un rail de chemin de fer. La plupart des hommes sont des ouvriers, de toute évidence, par leur apparence et leurs vêtements. Il y a parmi eux plusieurs dignitaires, qui sont mieux habillés, qui ont même des chapeaux hauts de forme. Et au centre, il y a un homme qui tient à la main une masse et qui vient d’enfoncer un crampon sur le rail, qui sert à assujettir le rail au sol.

    Cette photographie est généralement appelée « Le dernier crampon », ou en anglais, « The Last Spike ». L’homme au centre, qui frappe sur le dernier crampon, est Donald Smith, qui est le directeur de la Compagnie de chemin de fer du Canadien Pacifique.

    TM : La photo a été prise par le photographe de Calgary Alexander Ross. Elle est conservée ici, à Bibliothèques et Archives Canada.

    Nous avons demandé à Marcelle de nous parler de l’histoire du Canadien Pacifique et de l’achèvement du chemin de fer.

    MCM : Pour bien comprendre la signification historique de cette photographie, il faut expliquer un peu le contexte de l’époque à la période où le chemin de fer a été terminé, en 1885. Et même, il faut revenir quelques années auparavant. Évidemment, la Confédération canadienne date de 1867, et lorsqu’elle a été mise en place, il n’y avait que quatre provinces qui en faisaient partie : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l’Ontario.

    Le reste du territoire du Canada actuel ne faisait pas encore partie de la Confédération canadienne. Le tout nouveau gouvernement canadien voudrait étendre les frontières du nouveau pays d’un océan à l’autre. Donc il y a beaucoup de travail à faire pour y arriver. Le Manitoba a rejoint la Confédération en 1870, mais les provinces actuelles de la Saskatchewan, de l’Alberta et la Colombie-Britannique ne faisaient pas encore partie de la Confédération. Il y a eu des discussions entre le gouvernement canadien, à Ottawa, et ses territoires plus à l’ouest, pour les convaincre de joindre la Confédération.

    En 1871, la Colombie-Britannique, après plusieurs années de négociations, a fini par dire à Ottawa, au gouvernement canadien, qu’ils étaient d’accord de joindre la Confédération canadienne à une condition; à la condition qu’un chemin de fer soit construit pour relier la Colombie-Britannique à l’est du Canada. Donc, à partir de Montréal, rejoindre Ottawa, traverse tout l’Ouest canadien et rejoint la Colombie-Britannique. Donc la Colombie-Britannique rejoint la Confédération, et le gouvernement canadien, qui s’était engagé à construire ce chemin de fer, a commencé les travaux.

    La construction du chemin de fer commence au début des années 1870, mais après plusieurs années, où il y a eu des malversations, des histoires de scandales politiques, de pots-de-vin, les travaux n’avancent pas. Donc en 1880, 10 ans plus tard, le chemin de fer n’est pas encore fait. Un groupe d’hommes d’affaires reprend le projet en main et décide de le compléter. Évidemment, il y a quand même des profits à réaliser une fois que le chemin de fer était terminé. Donc il y avait un intérêt commercial pour ce groupe d’hommes d’affaires. Donc les hommes d’affaires réalisant que pendant dix ans les travaux n’ont pratiquement pas avancé, ont décidé d’engager un spécialiste de la construction des chemins de fer, un certain Cornelius William Van Horne. Van Horne, c’est un Américain de 38 ans. Il vient au Canada avec un très bon salaire et on le met en charge de finir ou en fait quasiment de faire au complet parce qu’il n’y avait presque rien de fait, de terminer le projet de construction du chemin de fer.

    C’est tout un projet, parce que ça part du Québec, de l’Ontario et ça se rend en Colombie-Britannique. En Colombie-Britannique, il y a les Rocheuses. Et construire un chemin de fer dans les Prairies, c’est assez facile, mais dans les montagnes, c’est une autre paire de manches. Mais Van Horne accepte et relève le défi.

    TM : Étoile montante du milieu aux États-Unis, William Van Horne devient le directeur général de la Compagnie de chemin de fer du Canadien Pacifique en 1882. Il supervise les travaux de construction dans les prairies et les montagnes. C’est à la fin de 1883 que le chemin de fer atteint les Rocheuses, à seulement huit kilomètres à l’est du col Kicking Horse, en Alberta. Les saisons de construction de 1884 et 1885 se déroulent dans les montagnes de la Colombie-Britannique.

    Le manque de main-d’œuvre dans la région mène à l’importation controversée de quelque 15 000 ouvriers chinois. Travaillant dans des conditions extrêmement difficiles pour un salaire dérisoire, des centaines d’entre eux perdent la vie dans des accidents et en raison de maladies ou d’un manque de soins médicaux. On leur confie les tâches les plus dangereuses, comme la manipulation des explosifs pour creuser des tunnels dans le roc. On estime qu’entre 600 et 800 travailleurs chinois sont décédés.

    Le chemin de fer du Canadien Pacifique traverse par ailleurs des terres des Premières Nations, sans que l’on ait cherché à obtenir leur accord. Par exemple, dans les années 1880, environ 5 000 membres des Premières Nations et de la Nation métisse sont expulsés des collines Cypress, en Saskatchewan, pendant la construction du chemin de fer. Même après la pose des rails, les trains continuent de détruire les terres des Premières Nations, tout le long de la voie ferrée.

    Pour des milliers d’Autochtones, l’arrivée du chemin de fer signale la fin d’un mode de vie. Leurs terres leur sont volées, et on les arrache de force à leur territoire traditionnel pour les installer dans des réserves, et ainsi faire de la place aux colons qui arrivent.

    Les négociateurs du gouvernement font diverses promesses aux peuples autochtones, verbalement et par écrit. On leur promet, entre autres, des droits spéciaux relativement aux terres visées par les traités, le versement de paiements en espèces, ainsi que la distribution d’outils de chasse et de pêche, de fournitures agricoles et d’autres articles. Les modalités de ces traités soulèvent la controverse et des contestations. Encore aujourd’hui, les Premières Nations en subissent les répercussions socioéconomiques et juridiques.

    Écoutons Marcelle.

    MCM : Sur cette photo, on voit les travailleurs et les dignitaires, tous des hommes évidemment, parce que c’est un chantier de construction. Mais ce qui est intéressant de noter, c’est l’absence de certains travailleurs. Il n’y a aucun des travailleurs chinois qui ont participé à la construction du chemin de fer. Les responsables de la compagnie ont pris soin de faire écarter tout travailleur chinois du plan, du cadre de la photo. C’est donc l’absence d’un groupe de travailleurs qui est remarquable sur cette photo.

    TM : On peut voir sur la photographie quelques figures historiques. Outre Donald Smith (qui deviendra plus tard le baron Strathcona), il y a William Van Horne, sir Sandford Fleming, John Egan, Sam Steel de la Police à cheval du Nord-Ouest, ainsi qu’un jeune homme qui se tient en plein centre, derrière Smith. Ce jeune homme, c’est Edward Mallandaine, que l’on appelle parfois le jeune de Craigellachie. Il a 18 ans lorsque la photo est prise. Arrivé la veille au soir à Craigellachie, il réussit à se frayer un chemin jusqu’à l’avant de la foule pendant la cérémonie, et apparaît donc au centre de la photographie.

    Nous avons demandé à Marcelle pourquoi elle considère cette photo du dernier crampon comme un trésor.

    MCM : En résumé, on peut dire que cette photo immortalise un moment bien précis. Oui, c’est le moment où le directeur de la compagnie a enfoncé le dernier crampon qui signifiait la finalisation de la construction du chemin de fer. Mais c’est plus que ça. C’est une photo iconique. Le chemin de fer qui a été construit, terminé en 1885, permet de relier non seulement les deux océans, d’un océan à l’autre, évidemment Terre-Neuve à l’époque ne fait pas partie de la Confédération, mais c’est surtout que le chemin de fer ouvre la voie, ouvre le chemin vers les Prairies canadiennes, et vers la Colombie-Britannique.

    Ouvre le chemin, donne un moyen de transport pour des centaines de milliers d’immigrants venus d’Europe qui débarquent des navires à Québec ou à Montréal, et qui de là vont pouvoir prendre le chemin de fer et rejoindre assez rapidement. Évidemment, le chemin de fer en 1885, ce n’est pas comme aujourd’hui, mais c’est mieux que le cheval. Donc, ces immigrants peuvent facilement rejoindre les Prairies et pouvoir s’installer et vraiment prendre racine et développer les Prairies canadiennes et la Colombie-Britannique. Avec ces immigrants, le chemin de fer permet aussi de transporter des marchandises, parce que bon, c’est bien beau d’aller s’installer dans les Prairies, il faut aussi avoir du bois, il faut avoir du verre, il faut avoir du métal, toutes choses qui peuvent être transportées par le train vers les Prairies canadiennes, vers l’Ouest canadien. Enfin, il faut dire aussi qu’à l’époque, quand on construit une ligne de chemin de fer, assez souvent on va construire en parallèle, juste à quelques mètres du rail, on installe aussi les poteaux qui vont servir pour le télégraphe. C’est ce que la compagnie du Canadien Pacifique a fait, à mesure qu’elle construisait le chemin de fer vers l’Ouest, elle a construit en parallèle, ce qui est beaucoup plus facile, installer la ligne de télégraphe. Donc non seulement on permet à la population, aux immigrants, d’aller s’installer dans les Prairies et de développer cette partie du pays, mais ils ont accès directement aux moyens de communication. Donc, qui dit télégraphe dit journaux, communications. Donc c’est vraiment en 1885, quand on termine ce chemin de fer, c’est vraiment une page de l’histoire, disons un chapitre de l’histoire canadienne qui se termine, et c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre. Comme les Prairies canadiennes et la Colombie-Britannique, l’Ouest canadien s’ouvre sur le monde, la porte s’ouvre et c’est vraiment le chemin de fer du Canadian Pacifique qui en est le précurseur.

    TM : Si vous voulez voir la photo du dernier crampon, rendez-vous à la page Flickr de Bibliothèque et Archives Canada. Vous y trouverez un album d’images intitulé Trésors de la collection. Nous mettrons cet album à jour à chaque nouvel épisode pour que vous ayez la chance de voir les trésors dont nous parlons.

    Merci d’avoir été des nôtres. Ici Théo Martin, votre animateur. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada – votre fenêtre sur l’histoire, la littérature et la culture canadiennes ». Nous remercions chaleureusement notre invitée d’aujourd’hui, Marcelle Cinq-Mars. Merci également à Isabel Larocque pour sa contribution.

    La musique de cet épisode est tirée de la banque Blue Dot Sessions.

    Cet épisode a été conçu, réalisé et monté par David Knox, avec un montage supplémentaire et une conception sonore de Tom Thompson.

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Animateur : Théo Martin, Archiviste, Archives des arts de la scène

Invitée : Marcelle Cinq-Mars, Archiviste en chef, Déclassification, Direction générale de l’AIPRP

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