Éplucher la collection des livres de recettes de BAC

Image d’une femme qui verse des raisins de Corinthe dans un bol; sur une table, on voit des ustensiles de cuisine et les ingrédients d’une recette, dont des raisins de Smyrne, de la farine, de l’eau-de-vie, des clous de girofle, une bière, du rhum jamaïcain, des raisins de Corinthe, des pommes, de la cannelle, du pain, des œufs, des épices et des raisins secs

Durant la Première Guerre mondiale, plus de 3 000 femmes s’enrôlent dans le Corps expéditionnaire canadien. Le gouvernement fédéral a créé cette force armée pour le service outre-mer. Les infirmières y occupent un rang d’officier à part entière, celui d’infirmière militaire, créé spécialement pour les femmes. Celles-ci contribuent grandement à l’effort de guerre canadien grâce à leur dévouement envers leur travail, leur patrie et surtout, leurs patients, ce qui leur vaut le plus grand respect de la population.

Durée : 42:27

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Date de publication : 8 septembre 2016

  • Transcription d'épisode 31

    Geneviève Morin : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Geneviève Morin, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.

    « On ne cuisine jamais seul. Même isolée dans sa cuisine, la cuisinière est entourée des générations passées de cuisinières, des conseils et des réalisations des cuisiniers contemporains et de la sagesse des auteurs de livres de cuisine. » – Citation de l'auteure Laurie Colwin.

    Dans cet épisode, nous sommes en compagnie d'Erika Reinhardt, archiviste à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), pour parler de la collection de livres de cuisine de BAC. Nous allons discuter, d'une part, de l'influence de la culture et de la technologie sur ces livres et les recettes au fil du temps et, d'autre part, des répercussions qu'ils ont eues sur nos rapports avec la nourriture et la cuisine au cours de notre histoire.

    Pour voir des images liées à cette émission, vous pouvez regarder notre album sur Flickr tout en nous écoutant. Allez à bac-lac.gc.ca/balados.

    Bonjour Erika. Bienvenue à notre émission de baladodiffusion.

    Erika Reinhardt : Bonjour Geneviève. Je suis très heureuse d'être ici.

    GM : Si je ne me trompe pas, Bibliothèque et Archives Canada a une collection de livres de cuisine plutôt vaste. Combien de titres renferme-t-elle?

    ER : Dans notre collection du patrimoine publié, nous avons plus de 2 600 titres de livres rattachés à la cuisine et à l'art culinaire au Canada. Il s'agit de livres de cuisine publiés mis à la disposition du public par l'entremise de la collection de la Bibliothèque nationale, et le plus vieux titre de notre collection a été publié en 1760. En fait, nous continuons, chaque année, d'acquérir de nouveaux livres de cuisine, comme les livres de cuisine récemment publiés au Canada ou les livres de cuisine rédigés par des auteurs canadiens au fur et à mesure qu'ils sont imprimés. Donc, chaque année, la collection s'étend.

    GM : Impressionnant. Par ailleurs, y a-t-il, dans la collection de BAC des dossiers ou des documents ayant trait à la cuisine et qui datent d'avant la publication ou qui n'auraient pas été publiés, peut-être un article provenant de fonds d'archives ou même de documents gouvernementaux?

    ER : En fait, outre notre collection du patrimoine publié, nous avons deux grandes collections d'archives. Nous avons une collection de documents gouvernementaux et ce sont les dossiers que les ministères transfèrent à Bibliothèque et Archives Canada. Nous gardons aussi une collection d'archives privées, constituée de dons faits par des familles, des organismes et des personnes clés. Dans ces deux types de documents, nous retrouvons énormément d'information sur l'évolution des systèmes alimentaires au Canada. Ainsi, nous pouvons étudier les changements survenus dans les rapports qu'entretiennent les Canadiens avec les aliments, notamment les méthodes de préparation des aliments d'autrefois, le marchandisage de la nourriture, nos façons de consommer les aliments, ainsi que d'autres facettes importantes de notre relation avec la nourriture. Il y a aussi des renseignements sur la transformation des aliments, sur l'introduction de nouveaux aliments dans le commerce et sur les infrastructures et la technologie de plus en plus imposantes. Ils renferment également de l'information sur la culture liée à la nourriture, dont la santé et les régimes, les habitudes et les menus. Il y a aussi dans nos collections gouvernementales des documents provenant notamment de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui renferment beaucoup de données sur la réglementation visant les aliments, la santé et la promotion d'aliments sains auprès des Canadiens, du Conseil des produits agricoles du Canada et même du ministère de la Santé, lequel fournit beaucoup de documents concernant les aliments et les régimes, les aliments et la nutrition, mais portant aussi sur les maladies d'origine alimentaire, comme le diabète, l'obésité, même la tuberculose et Escherichia coli (E. coli).

    Quant à notre collection privée, c'est très intéressant, car elle nous renseigne sur les personnes, les familles canadiennes moyennes et sur l'utilisation qu'elles ont fait des aliments. Même si nous avons de nombreuses recettes publiées, nous possédons aussi beaucoup de collections regroupant les recettes familiales; on les retrouve souvent dans des journaux personnels et dans des carnets, sous forme manuscrite. L'origine de certaines recettes remonte aux pionniers qui ont apporté les recettes familiales en arrivant au Canada et qui les ont transmises pendant plusieurs générations. Une fois en sol canadien, les pionniers ont dû adapter leurs recettes en fonction de leur lieu de résidence et des aliments disponibles. Donc, parmi les collections qui contiennent de telles recettes familiales il y a, par exemple, le fonds Hélène Gougeon, le fonds Martha Field/Fanny Simpson. Mais il y a aussi le fonds de la famille Hallen, le fonds Conger, qui contient, en fait, des carnets où l'on retrouve, outre les recettes, des procédés pour fabriquer des produits d'entretien ménager, comme de la cire pour meubles, du chasse‑moustiques, des remèdes à base de plantes médicinales et des médicaments extraits de la flore locale et des herbes locales qui étaient disponibles dans la région. Il s'y trouvait également des instructions afin d'aménager un jardin ou une cave à légumes. C'est une ressource particulièrement intéressante parce que nous pouvons repérer les recettes qui étaient utilisées sur une base quotidienne et nous pouvons dire quelles recettes étaient transmises d'un membre de la famille à un autre ou qui étaient reprises par des voisins. Dans bon nombre de documents, des notes sont inscrites dans les marges expliquant l'usage qu'on en faisait, les modifications qu'on y a apportées et si l'on croyait que la recette était succulente.

    Hormis les recettes, nous avons aussi des documents de certains journalistes gastronomiques et d'auteurs de livres de cuisine notables. Mentionnons Walter Patrick Davisson, qui était journaliste pour la Canadian Cooperative Wheat Producers. Il a également laissé de nombreux écrits sur la famine dans le monde et les industries mondiales des aliments. Nous avons les documents de Roy Hacking, qui se portait à la défense d'une production et d'une conservation accrues des produits alimentaires. Il en va de même pour les documents d'Irene Spry qui représentait les femmes des régions rurales et la nutrition. Elle a également beaucoup parlé de la production de produits alimentaires et des enjeux connexes, et elle était affiliée à l'Union mondiale des femmes rurales. De surcroît, nous avons des documents de Jehane Benoit, qui était chef et restauratrice, nous avons d'ailleurs des photographies d'elle.

    GM : C'est un assortiment plutôt diversifié de...

    ER : Oui.

    GM : ... d'œuvres que les gens peuvent consulter et étudier quand ils se penchent sur l'histoire de l'alimentation au Canada. C'est fantastique. Je me rappelle avoir vu des photographies tirées de notre collection de photos de cuisiniers dans les camps de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), et aussi de cuisiniers dans l'armée et des coqueries à bord des navires. C'est vraiment un magnifique pan de la collection de BAC, n'est-ce pas?

    ER : Oui, et on peut en tirer tellement d'usages différents, c'est un sujet vraiment interdisciplinaire parce que l'étude de l'alimentation est un domaine en pleine croissance dans les universités du Canada et ce tout nouveau domaine n'a pas réellement pris d'essor avant la fin des années 1990. Par conséquent, ces sources ont une valeur historique pour les anthropologues et les sociologues, les scientifiques des produits alimentaires; elles renferment beaucoup de renseignements sur le commerce et l'économie; elles nous informent sur la production agricole, la culture. Elles sont très révélatrices de la santé et de la place qu'occupe la nutrition dans la société, la culture et l'ethnicité lorsqu'il est question de certains aliments et régimes. Il y a une foule d'informations sur les sciences de l'alimentation, le génie alimentaire et la technologie culinaire. La commercialisation des aliments. Les utilisations pratiques des ressources dont nous disposons à BAC sont tout simplement infinies. C'est vraiment agréable de faire la promotion de ces documents auprès de la population canadienne.

    GM : Donc, revenons à la nourriture comme telle parce que nous aimons manger.

    ER : Oui.

    GM : Au fil des siècles, nous constatons que nos ustensiles de cuisine ont évolué. Au départ, nous faisions la cuisine sur un foyer ouvert, alors qu'aujourd'hui, nous retrouvons dans nos cuisines ces électroménagers dernier cri. De quelle façon est-ce que la technologie dans la cuisine se reflète dans les livres de cuisine et dans nos compétences culinaires?

    ER : Il est très intéressant de consulter les livres de cuisine parce qu'ils nous en racontent long sur l'évolution des habitudes et des techniques culinaires au fil du temps, seulement d'après le nombre d'ingrédients ou d'ustensiles à notre disposition. Sur une note plus personnelle, j'ai amorcé ma carrière dans un musée qui était doté d'une cuisine patrimoniale fonctionnelle et, dans ce musée, nous reproduisions l'époque des loyalistes de l'Empire-Uni jusqu'à la guerre de 1812. Donc, nous travaillions dans des cuisines dotées de foyers ouverts, ce qui voulait dire que nous faisions de la cuisine au-dessus d'un feu à ciel ouvert. Il n'y avait pas de fourneaux de cuisine; en conséquence, quand on reprend beaucoup de ces recettes, vous n'avez pas tout cela, parce qu'elles datent d'une époque où les poids et les mesures n'existaient pas encore, les unités de mesure, comme la tasse et la livre. Elles précédaient aussi les cuisinières et les fours électriques. Dans bon nombre de ces recettes, en conséquence, il n'y a pas d'instructions comme « préchauffer le four à 350 degrés », parce qu'il n'y avait pas encore de fourneaux à préchauffer. On ne retrouve pas dans ces recettes « une tasse de ceci » ou « une demi-tasse de cela » parce que, dans les années 1700, « une tasse » n'avait pas vraiment la même signification qu'aujourd'hui. Par conséquent, l'instauration d'unités de mesure et de poids standards, qui est survenue dans les années 1820, a grandement révolutionné l'art culinaire et les livres de cuisine, car, soudainement, on pouvait uniformiser et presque universaliser les recettes. En effet, les personnes qui utiliseraient une tasse de farine allaient toutes employer la même unité uniformisée, alors qu'avant chaque ménage avait sa propre interprétation parce qu'une tasse était tout simplement une petite chope ou un verre, selon ce qui se trouvait à portée de la main. Puis, arrivent le XXe siècle, l'invention du four électrique et d'autres appareils de cuisson, voire le micro-ondes. Nous assistons aussi à l'invention de mélangeurs, de mijoteuses. Vers la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle, il y a cette tendance pour les appareils de cuisson dans des créneaux particuliers. Maintenant, on peut acheter dans de grands magasins des préparateurs de sandwiches pour le petit-déjeuner. Lorsque ces appareils sont arrivés sur le marché, bien des gens les trouvaient plutôt étranges et inusités. En conséquence, un grand nombre de compagnies, comme Générale électrique, ont imprimé des livres de cuisine dans le but, grosso modo, d'encourager... c'était des recettes adaptées tout particulièrement aux nouveaux fours, aux nouveaux micro-ondes, aux nouvelles mijoteuses, de manière à amener les gens à les utiliser. Encore aujourd'hui, si vous achetez un mélangeur, les instructions renferment habituellement un livret qui explique comment préparer une boisson fouettée.

    GM : C'était donc une technique de commercialisation vraiment brillante?

    ER : L'idée de se doter de tels produits était vraiment, vraiment géniale et c'est pourquoi bon nombre des entreprises qui l'ont fait à l'époque sont encore en activité aujourd'hui.

    GM : J'avoue que certaines des recettes présentées dans les livres de cuisine pour micro-ondes ne sont pas très alléchantes, à mon goût, mais elles l'étaient peut-être pour les maîtresses de maison dans les années 1980.

    ER : Oh! Absolument. À l'époque, elles faisaient tout, elles travaillaient, s'occupaient de la maison et des enfants. Elles pouvaient avoir un emploi et, grâce à ces merveilleux micro-ondes, la préparation des mets allait se faire en un tournemain et en un temps record.

    GM : On cuisait le rôti du dimanche midi plus vite que jamais.

    ER : Oui et, au XXe siècle, les régimes subissent beaucoup de changements en raison de la production et de la transformation des produits alimentaires et de toutes les tentatives visant à simplifier et à faciliter la préparation des aliments. Par exemple, les aliments emballés sont nombreux sur le marché. Les produits comme les mélanges Jell-O : il suffit d'ouvrir le sac, de verser la poudre dans un bol, d'ajouter de l'eau tiède, de couvrir, de réfrigérer, de déguster. Très simple, des étapes faciles. Encore de nos jours, les blogues en ligne et les livres de cuisine sont nombreux à proposer des recettes en « 15 minutes », n'est-ce pas?

    GM : Effectivement.

    ER : Vous pouvez cuire un repas complet et bien équilibré en 15 minutes. Le but est de rendre la vie de tous bien plus simple en raccourcissant le temps de préparation. Les aliments préparés, les pâtes préemballées qu'il suffit de faire bouillir. Même les dîners congelés sont devenus populaires et ils étaient commercialisés auprès des femmes comme suit : « Pas le temps de cuisiner ce soir? Pas de problème, sortez un dîner congelé, tout est déjà prêt pour vous. Il suffit de régler la minuterie et, entre-temps, assoyez-vous, lisez un magazine, faites-vous une mise en plis, gâtez-vous. » [traduction] C'est ainsi que beaucoup d'entreprises positionnaient leurs aliments préparés et préemballés. Nous étions à l'ère de la facilité. En fait, ces entreprises rédigent des livres de cuisine dans le but de commercialiser certains produits alimentaires. Five Roses a publié un livre de cuisine très célèbre, aussi, c'était des livres de cuisine habituels, mais chaque fois qu'il fallait ajouter de la farine, il était précisé d'utiliser de la farine Five Roses.

    GM : C'est drôle parce que, parfois, j'ai encore le réflexe, à l'épicerie, quand je veux de la farine et que je vois un produit Five Roses « oop, c'est la marque de farine que ma mère achetait » [traduction]. Parce qu'elle avait le livre de cuisine Five Roses.

    ER : Parce qu'elle avait le livre de cuisine Five Roses. Ma grand-mère avait le livre de cuisine Five Roses.

    GM : Voilà de la commercialisation très efficace, très efficace.

    Nous avons demandé à Erika à quels autres égards les livres de cuisine ont changé au fil du temps.

    ER : En plus de simplement cuire sur le feu et de faire rôtir lentement, bon nombre de ces anciennes recettes incorporaient différentes saveurs. Donc, à l'ère moderne, chaque fois qu'on fait quelque chose comme... chaque fois que vous cuisinez un gâteau ou des biscuits, habituellement les parfums les plus populaires aujourd'hui sont la vanille et le chocolat, je crois que ce sont les deux les plus connus. Au XVIIIe siècle, aucun de ces ingrédients n'était très accessible. En fait, la vanille n'est vraiment devenue un ingrédient courant que plus tard au cours du XIXe siècle. En conséquence, bon nombre de ces anciennes recettes renfermaient comme aromatisants de l'alcool, de l'eau-de-vie, du vin fortifié ou du « sherry ». L'eau de rose était incroyablement populaire. Les raisins secs, les raisins de Corinthe étaient les seuls ingrédients que l'on ajoutait aux recettes pour, en quelque sorte, donner de la saveur et puis, plus tard, plusieurs décennies plus tard, soit dans les années 1830 et 1840, on les a alors remplacés par des parfums d'agrumes, soit les oranges et les citrons. Encore une fois, nous constatons l'évolution des échanges commerciaux, la croissance du marché au fur et à mesure que le Canada se dote d'infrastructures poussé par la construction des voies ferrées et des canaux. Il est devenu plus facile de transporter certains aliments des ports d'Halifax jusque dans les Prairies de l'Ouest.

    GM : C'est intéressant que tu le mentionnes, parce que BAC a une magnifique collection d'affiches d'Empire Marketing Board qui, inlassablement, encourageaient les gens à « acheter des raisins secs d'Australie » [traduction] et des produits du Commonwealth, et nous voyons aussi du bacon irlandais et des oranges de l'Afrique du Sud. Il y a une corrélation avec ce que tu disais auparavant au sujet de l'évolution des arômes utilisés en cuisine. Les routes de commerce s'ouvrent, il y a plus d'accords commerciaux et de commercialisation et, tout à coup, le Canada est envahi par toutes sortes d'arômes.

    ER : Et ce qui est intéressant au sujet de la collection Empire Board, c'est qu'elle témoigne grandement de la montée du nationalisme et de la fierté à l'égard du Commonwealth et de l'appartenance à l'Empire britannique, mais elle fait aussi la promotion de la présence du Canada au sein de l'Empire, par l'entremise du saumon du Pacifique. Je crois qu'il s'agit d'un des produits autrefois associés, si vous voulez, au Canada. On suscitait aussi une sorte d'identité nationale en matière d'alimentation chez les Canadiens, donc pour le Canada, c'est le sirop d'érable et le saumon, la tourtière et la poutine.

    GM : [rires] Est-ce que la poutine était vraiment déjà en lice?

    ER : Non. D'ailleurs, l'idée d'une identité nationale et d'aliments propres à notre nation émerge véritablement avec force au Canada en 1967 et les années suivantes. À l'époque, c'était le centenaire du Canada. Il y avait beaucoup de célébrations nationales, on se questionnait beaucoup sur le sens d'être Canadien et sur le Canada comme tel. C'est presque comme si on inventait une symbolique canadienne. Entre autres, on a publié beaucoup de livres de cuisine vers la fin des années 1960 et au début des années 1970 qui tentaient réellement de faire découvrir un régime propre aux Canadiens, une cuisine canadienne. On allait même jusqu'à différencier les recettes par région, la cuisine canadienne-française traditionnelle, la cuisine traditionnelle du Canada atlantique. Par ailleurs, on a aussi caractérisé les recettes en fonction des immigrants qui arrivaient, aussi durant cette période, on a assisté à la publication de livres de recettes ethniques, comme la cuisine des mennonites et la cuisine italienne. Dans notre collection, nous avons un bon nombre de livres de cuisine datant de cette époque. Même dans les petits villages, on rédigeait, afin de célébrer le centenaire, un livre de cuisine commémoratif qui regroupait les recettes préférées des familles et des ménages, et chaque village contribuait à ces petits livres de cuisine. Nous en avons beaucoup, en plus de ces gros livres de cuisine, nous avons aussi un grand nombre de livres de cuisine des petits villages, des groupements religieux, comme des recettes et des compilations populaires provenant de petits groupes. Ils sont vraiment charmants.

    GM : C'est habituellement là que nous trouvons aussi les trésors, comme ces ultra-délicieux biscuits dont la recette est transmise de génération en génération par l'entremise des livres de cuisine paroissiaux.

    ER : Oh, exactement. Parce qu'un des dangers, en fait, une des choses qu'il faut retenir quand on consulte un livre de cuisine en tant que, disons, ressource historique, c'est qu'ils peuvent nous raconter bien des choses sur les aliments qui étaient disponibles à un moment et à un lieu donnés dans le passé. Ce que nous ne savons pas nécessairement, c'était la méthode employée par l'individu moyen pour apprêter les mets, les recettes que l'individu moyen préparait vraiment. J'ai de nombreux livres de cuisine... Je suis toujours intéressée par la recette, mais, en fait, je ne l'essaie pas et je ne l'essaierai probablement jamais. Alors que d'un autre côté, il y en a peut-être quatre ou cinq, dans le même livre de cuisine, que je vais préparer à répétition et adapter parce que ce sont mes préférées. Bon nombre de ces livrets de cuisine provenant de petits villages, c'est de cela qu'il s'agit, ce sont les recettes préférées, les recettes éprouvées, celles que vous transmettez à vos enfants ou à vos petits-enfants. Ou quand ils partent pour le collège ou qu'ils quittent la maison, ils demanderont à leur mère « oh, est-ce que je peux avoir la recette de ton gâteau au chocolat ou de ta salade de brocoli? » Dans le cas de ma mère, c'est la salade de brocoli. [rires]

    GM : Pour ma part, c'est les boulettes de fromage.

    ER : Les boulettes de fromage.

    GM : Exact.

    [rires]

    GM : Erika, parle-nous des difficultés auxquelles se heurtent les cuisiniers d'aujourd'hui quand ils veulent recréer des recettes à partir d'anciens livres de cuisine, mais dans les cuisines modernes.

    ER : Bien, je crois que si on essaie de recréer une recette avec authenticité, il faudrait vraiment essayer de la faire avec les ustensiles et les ingrédients d'époque parce que, en partie, il faut penser que les goûts ont changé avec le temps. Dans un des livres de cuisine, l'auteur écrit « ne jamais ajouter d'oignon dans une recette sauf si vous êtes absolument certain que tout le monde à la table aime les oignons » [traduction]. Et les oignons figurent encore parmi les ingrédients que nous utilisons couramment de nos jours. Je pense que quand on consulte certains des plus anciens livres de cuisine, on constate aussi que la langue a un peu changé. Dans un livre de cuisine, il faut ajouter du vin blanc fortifié, mais peu de personnes savent de quoi il est question parce qu'aujourd'hui nous le prenons pour, nous l'appelons autrement, nous disons du « sherry » ou du vin fortifié. Autre exemple, nous parlons de pain de sucre et, une fois de plus, nous n'utilisons plus vraiment le terme « pain de sucre », maintenant c'est du sucre cristallisé blanc. Donc, il faut parfois effectuer quelques recherches quand on ne connaît pas un ingrédient. Notamment, vers la fin du XVIIIe siècle, dans les années 1780, on constate dans de nombreux livres de cuisine qu'on a commencé à ajouter aux recettes un ingrédient appelé « perlasse ». La perlasse est, fondamentalement, le précurseur de la levure chimique ou du bicarbonate de sodium. On l'ajoutait aux recettes afin de faire lever les gâteaux et les mélanges et de leur donner une texture plus floconneuse. Une fois de plus, vous ne pouvez pas nécessairement aller à l'épicerie aujourd'hui et trouver de la perlasse. Et, quand j'en ai cherché, j'ai appris que c'était en réalité des cendres très, très finement moulues que l'on retirait du feu de camp ou du poêle. En fait, on les saupoudrait sur le mélange et elles avaient le même pouvoir liant pour faire lever le tout. Vous savez, j'ai des recettes qui datent d'avant les années 1780, et dans celles-ci, si vous voulez donner à votre gâteau un peu de légèreté, vous deviez ajouter des œufs, bon nombre de ces recettes renfermaient beaucoup d'œufs. Il fallait ajouter dix œufs, une douzaine d'œufs, vous deviez battre les blancs jusqu'à ce qu'ils aient la consistance d'une mousse très, très ferme et c'est ainsi que vous donniez à votre mélange un peu de légèreté. Malgré tout cela, si vous deviez manger aujourd'hui un gâteau préparé suivant une de ces recettes, vous seriez nombreux à trouver que le gâteau est très massif; il n'a pas la légèreté, la consistance floconneuse, la tendreté... Si vous vous rendez dans une épicerie aujourd'hui et que vous achetez un emballage de préparation pour gâteau, le résultat serait beaucoup plus léger, bien plus floconneux, tandis que selon l'ancienne méthode, ce serait un gâteau très, très massif. Tu en as déjà mangé, n'est-ce pas?

    GM : Oui.

    ER : J'en ai apporté un il y a quelques mois...

    GM : Il était très bon et je persiste à dire qu'il serait succulent avec une tasse de thé.

    ER : Oui.

    GM : Il suffit d'avoir du thé pour, en quelque sorte, adoucir le tout...

    ER : Oui.

    GM : ... un petit peu. J'ai aussi pensé cela quand je l'ai goûté, c'est un gâteau portugais que tu avais préparé quand j'ai fait la dégustation.

    ER : Oui, c'était une recette de gâteau portugais, qui était très populaire vers la fin... au tournant du XIXe siècle.

    GM : La dégustation a été une expérience vraiment fascinante parce que... on avait l'impression qu'il était très massif, mais, en réalité, il était aussi très moelleux. En bouche, il n'avait rien de surprenant, mais c'était simplement un bon morceau de gâteau, moelleux, qui se laisse savourer...

    ER : Oui.

    GM : ... pas trop sucré. Quand j'ai goûté le gâteau, j'ai pensé que nos papilles gustatives étaient tellement stimulées de nos jours par tous ces aliments super-sucrés que renferment nos régimes...

    ER : Oui.

    GM : ... nos régimes renferment des aliments salés. C'est parce que mon palais est tellement habitué aux aliments transformés en usine avec un fort contenu de sucre et de sel que j'ai remarqué l'absence, mais la recette n'était pas en cause, c'est parce que mes papilles gustatives sont altérées.

    ER : Oui, exactement. De nos jours, nos palais sont tellement influencés par les desserts très sucrés, les produits très riches. Encore aujourd'hui, je pense que tout le glaçage sur les gâteaux est de loin trop sucré. Ou bien, si je commande un gâteau, j'adore le riche parfum de chocolat, mais c'est un goût très prononcé, cela surprend et influe sur notre réaction. Tandis que ces recettes, elles sont plus simples, c'était en quelque sorte de petits gâteaux « casse-croûte », des desserts. Comme tu l'as mentionné précédemment, on n'ajoutait pas de sel aux recettes, il y avait un peu de sucre, mais ce n'était pas le principal ingrédient. Il arrivait qu'on ajoute un peu de sucre, mais il ne représentait pas la moitié des ingrédients secs. Le parfum et le goût proviennent d'autres éléments ajoutés à la recette comme, tel que je te l'ai dit, l'alcool ou des liquides aromatisés et des jus. Bon nombre de ces ingrédients permettaient d'ajouter des saveurs aux sauces, aux gâteaux et aux préparations.

    GM : Alors, que peux-tu nous dire au sujet du plus vieux livre de cuisine qui se trouve dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada?

    ER : Donc, le plus vieux livre de cuisine que nous avons dans notre collection est un livre de cuisine d'Hannah Glasse et il est intitulé The Art of Cookery made Plain and Easy (L'art culinaire vulgarisé et simplifié). La première publication est en 1747. Mais l'exemplaire qui se trouve dans notre collection est tiré de la septième édition; il a été publié en 1760. Le fait que, en seulement 14 ans, il y ait eu sept éditions du livre indique à quel point il s'agissait d'un ouvrage à succès. Ce livre de cuisine était, au milieu du XVIIIe siècle, l'œuvre la plus largement distribuée dans le monde anglophone et elle a continuellement été réimprimée jusqu'au début du XIXe siècle. Le livre était destiné aux domestiques qui travaillaient dans les somptueuses demeures ou auprès des familles de classe moyenne. Hannah Glasse a apporté une innovation dans son livre de cuisine, elle a repris des recettes françaises très extravagantes qui n'étaient habituellement préparées que par des chefs professionnels ou par des écoles culinaires élitistes installées sur le continent européen, et elle les a converties en recettes pratiques qui pouvaient être préparées par un individu moyen vivant dans une maisonnée. Entre autres, elle a remplacé des termes culinaires très techniques par des mots courants. De plus, elle a substitué beaucoup d'ingrédients dispendieux et exotiques par des produits plus accessibles aux lecteurs ordinaires. En conséquence, à bien des égards, ce livre de cuisine est perçu comme l'un des plus anciens exemples de livres de cuisine destinés au lecteur moyen en quête d'instructions pour préparer diverses recettes.

    GM : Pas pour les millionnaires qui aimaient avoir de la crème chantilly chaque soir au dîner.

    ER : Oui.

    GM : Fascinant.

    ER : C'est l'un des plus anciens exemples de ce que nous appelons un livre de cuisine contemporain.

    GM : Ce n'est pas très différent d'aujourd'hui quand nous regardons les émissions de cuisine diffusées sur les chaînes de télévision spécialisées qui nous montrent comment préparer des repas rapides, faciles et peu coûteux et utiliser les pièces de viande les moins chères. Souvent, il s'agit d'une recette française classique revue, nous faisons alors cuire ou rôtir plus longtemps une pièce de viande moins chère ou nous la braisons au lieu de simplement la rôtir de sorte que nous profitons plus de notre dollar. Le monde n'a pas vraiment beaucoup changé, nous voulons encore retirer le plus possible de notre budget réservé à la nourriture.

    ER : Comme tu l'as dit, bien des livres de cuisine ont pour objectif de simplifier et d'apprivoiser l'art culinaire.

    GM : Par ailleurs, il y a quelque chose qui m'enthousiasme particulièrement. Tu as adapté une recette pour que nos utilisateurs l'essaient. Nous l'afficherons sur Flickr. Peux-tu nous en dire plus sur la recette choisie?

    ER : En fait, nous avons parlé un peu plus tôt d'un gâteau portugais, j'ai donc décidé d'offrir cette recette-là à nos utilisateurs. Je propose trois différentes variations, des variations de la recette à différentes époques. La première est la recette originale, c'est la recette qui apparaît dans le livre de cuisine d'Hannah Glasse dont nous avons parlé précédemment. Comme je l'ai mentionné, c'est celle tirée de l'édition de son livre de cuisine de 1760 parce qu'elle est différente de la recette présentée dans la première édition originale. Ce que je veux démontrer, entre autres, c'est que la même recette est adaptée continuellement et qu'elle évolue avec le temps. Donc, dans la recette de 1760, les instructions sont : « Pour faire un gâteau portugais. Incorporer dans une livre de farine finement moulue, une livre de pain de sucre, battu et bluté, puis tamiser dans une livre de beurre doux pur, jusqu'à une consistance épaisse comme du pain blanc classé, puis ajouter deux cuillerées d'eau de rose, deux de vin blanc fortifié, dix œufs, mélanger le tout très bien avec un fouet, ensuite incorporer ce mélange à huit onces de raisins de Corinthe, bien brasser le tout ensemble; graisser les moules en fer blanc, les remplir à moitié et mettre à cuire; si les gâteaux ne contiennent pas de raisins de Corinthe, ils se garderont six mois; vous pouvez aussi ajouter une livre d'amandes mondées et mélanger avec l'eau de rose, comme ci-dessus, et omettre la farine. Cette variation est meilleure. » [traduction] Elle donne donc deux variations de la recette. On remarque, entre autres, que la recette ne renferme pas vraiment d'unités de mesure précises, elle indique des poids, donc il y a une livre de farine, une livre de pain de sucre. On mentionne aussi de cuire les ingrédients, mais sans indiquer la durée de cuisson, on ne connaît pas nécessairement la température de cuisson.

    GM : Cela nous révèle quelque chose sur l'art culinaire à l'époque. On s'attendait à ce que le cuisinier possède certaines notions quand il entreprenait ces recettes parce que les personnes qui ont des connaissances en cuisine savent que si vous regardez le gâteau en train de cuire, vous pouvez deviner qu'il est prêt en introduisant un cure-dent ou en vérifiant l'élasticité du gâteau. Mais si vous êtes un apprenti cuisinier, comme bien des gens de nos jours, vous avez besoin de plus d'instructions. C'est un élément plutôt intéressant pour les anthropologues.

    ER : Oui, et les recettes pouvaient être plus perfectionnées parce que tout le monde cuisinait. C'était avant notre époque, où il suffit d'aller en ville et d'acheter un repas précuit ou un mets préemballé. Les personnes grandissaient dans la cuisine de leur mère et les regardaient cuisiner, les aidaient à cuisiner. Donc, on supposait que les gens possédaient déjà le savoir-faire et les connaissances de base. Je ne recommanderais que bien peu de ces recettes à des débutants parce qu'on s'attendait vraiment à ce que les cuisiniers aient certaines aptitudes, c'est ce que j'appelle « cuisiner par expérience ». Certaines recettes ne contiennent pas d'instructions précises, je veux dire que celle-ci en fait est très détaillée et précise : une livre de farine, une livre de sucre, une livre de beurre. Dans certaines recettes, on ne mentionne que les ingrédients, du beurre, du sucre, de la farine, et il revient au cuisinier de connaître la consistance désirée et la quantité. Habituellement, quand on prépare un mélange et que, vous savez, c'est vraiment, vraiment liquide, on ajoutera de la farine. Il faut donc avoir de l'intuition et de l'expérience pour réussir à suivre une recette de ce genre. De plus, pour ce qui est du temps de cuisson, il faut vraiment connaître la durée de cuisson de certains mélanges, la température requise, le temps qu'il faut y laisser le mélange, la fréquence à laquelle il faut vérifier la cuisson.

    J'ai en fait une autre variation de cette recette, celle-ci date d'un livre de cuisine de 1831, The Cook Not Mad (Le cuisinier pas fou). Dans cette version, il est écrit que c'est un gâteau de mariage, on ne le désigne pas comme le gâteau portugais, alors que c'est le cas. Quand vous lisez la liste des ingrédients, vous constaterez qu'elle est très, très semblable, avec quelques altérations et modifications. Dans cette recette, il faut plutôt 18 livres de farine, 12 de beurre...

    GM : Impressionnant!

    ER : [rires] ... 12 de sucre, 6 de raisins secs, 6 de raisins de Corinthe, 3 de cédrat, 12 douzaines d'œufs, une demi-livre de clous de girofle, une pinte de cognac et autant d'épices qu'on le désire. Voilà la recette. Il n'est même pas précisé de mélanger les ingrédients, ni de mettre à cuire le mélange parce qu'on suppose que le cuisinier connaît ces détails. On ne retrouve que la liste des ingrédients nécessaires dans la préparation. Bon nombre des ingrédients sont très, très semblables à ceux du gâteau portugais dont nous avons parlé plus tôt, il y a de la farine, du beurre, du sucre, des raisins secs et des raisins de Corinthe. Mais dans cette recette, on est allé un peu plus loin en ajoutant des saveurs, comme du cédrat et des clous de girofle.

    GM : C'est beaucoup de clous de girofle!

    ER : Une demi-livre de clous de girofle.

    GM : Bon sang!

    ER : C'est parce que la saveur ne vient pas du sucre, tu te rappelles. Eh oui, beaucoup de gâteaux contiennent énormément d'épices, dont la muscade, la cannelle et les clous de girofle. Encore une fois, il s'agit d'une version très simplifiée, encore plus simple, mais elle devient extrêmement compliquée parce que les instructions sont tellement lacunaires qu'il vous faut combler les manques.

    GM : Avais-tu une troisième recette?

    ER : Oui, la troisième version de la recette, je l'ai d'ailleurs apportée, est tirée de notre collection d'archives, ce n'est donc pas une version publiée; elle ne se trouve dans aucun livre de cuisine. Encore une fois, si nous nous penchons sur les ingrédients et les instructions, elle est très, très semblable à la recette d'Hannah Glasse et à celle extraite du livre The Cook Not Mad. Donc, cette recette vient de... c'est un livre de cuisine manuscrit appartenant au fonds Martha Field et Fanny Simpson conservé à Bibliothèque et Archives Canada. Sans enfant, Martha Field a donné en héritage à sa sœur, Fanny Simpson, le livre de cuisine et nous savons — à partir des dates ajoutées dans le livre de cuisine — que les recettes ont probablement été compilées de 1842 à 1858, environ. Donc, Martha Field était une maîtresse de maison anglaise et a vécu de 1814 à 1880, approximativement. Sa sœur, Fanny, a épousé le révérend Maltwood Simpson et ils ont immigré à Hamilton (Ontario). Lorsqu'ils sont arrivés au Canada, ils ont apporté ce livre plein de recettes. Il a été transmis de génération en génération et, en fait, jusque vers les années 1930 et 1950, la petite-fille et l'arrière-petite-fille y ont ajouté des recettes. Elles ont préparé des recettes, les ont adaptées et quelque peu modernisées.

    GM : Extraordinaire!

    ER : Oui. Naturellement, le livre de cuisine montre des signes d'usure considérable et il renferme des recettes normales, mais aussi d'autres, plus exotiques. La recette que j'ai apportée, c'est leur recette de gâteau aux raisins de Corinthe, qui était aussi utilisée comme gâteau de mariage. Il y a une courte introduction au livre de cuisine et j'ai dû la transcrire, car la note était manuscrite. Dans l'introduction, on peut lire que la recette en entier a été préparée en vue du mariage de Fanny, le 19 août 1845. Elle donne un gros gâteau et deux gâteaux « casse-croûte » de taille raisonnable. Ainsi va la recette : « à cinq livres de farine bien sèche, ajouter trois livres et demie de beurre frais, bien lavé, trois livres de raisins de Corinthe bien lavés et asséchés, une demi-livre de raisins secs hachés finement, du zeste confit coupé en petits morceaux, une demi-livre d'amandes mondées avec un peu d'eau de rose, des épices émincées et les jaunes de » [traduction]... C'est ici que la transcription se complique parce qu'il m'était impossible de dire si c'était 13 œufs, 20 œufs ou 30 œufs.

    [rires]

    ER : Cela fait partie des obstacles que l'on doit surmonter quand on travaille avec des recettes aussi anciennes, il faut parfois deviner quand le manuscrit original est taché ou difficile à lire. La recette se poursuit ainsi : « battre chacun des blancs d'œuf séparément, fouetter le beurre à la main jusqu'à ce qu'il tourne en crème, puis ajouter le sucre et les œufs graduellement, ensuite le reste des ingrédients et, en tout dernier, deux "verres de vin" de cognac. Bien battre le tout ensemble pendant une heure et verser le mélange dans un moule à gâteau graissé, doublé d'un papier graissé. Cuire pendant quatre heures dans un four bien chaud et, une fois cuit, laisser refroidir graduellement. » [traduction] Il y a une petite note au bas : « cette recette est excellente » [traduction]. Cette recette renferme un peu plus de détails. Vous remarquerez encore une fois que cette combinaison ressemble aux ingrédients de la recette d'Hannah Glasse et à ceux du gâteau de mariage de 1831. Nous avons un peu plus d'information, comme des détails sur la préparation du moule à gâteau : il faut graisser le moule à gâteau, mais, en plus, on y déposait un papier qui avait également été graissé. Possiblement un truc pour éviter que le gâteau colle au fond du moule, un conseil que nous n'avons pas vu dans les premières recettes. Il est écrit de cuire pendant quatre heures. À la première lecture de ce passage, je me suis dit, non, non, non, je dois m'être trompée. Quoi, quatre heures! Mais, cette directive était vraiment très, très claire. On n'imagine pas mettre à cuire quelque chose aussi longtemps, encore moins un gâteau. Encore là, si vous faites cuire pendant quatre heures, à quelle température le four doit-il être? Il y a tellement d'essais et erreurs quand on essaie de recréer ces recettes.

    GM : Si ce n'est pas le cas, tu te retrouves avec un gâteau plutôt sec.

    ER : Ce qui est très intéressant avec cette version de la recette, c'est que nous savons que ce n'est pas seulement une recette dans un livre de cuisine, nous savons que c'est une recette que quelqu'un a préparée et transmise à ses petits-enfants. Nous savons également, nous savons à quel moment elle a été utilisée, nous connaissons l'histoire derrière la recette, le contexte culturel. Vous savez, cette préparation a été servie à un mariage, mais elle peut aussi servir à préparer des gâteaux « casse-croûte » de taille raisonnable, on peut donc en faire divers usages et il est précisé dans quelles circonstances il est approprié de les servir.

    GM : Mais ça reste un gâteau de fête.

    ER : Oui, c'est un gâteau de fête.

    GM : Si quelqu'un souhaite se rendre à Bibliothèque et Archives Canada pour consulter certains des livres de cuisine, comment doit-il procéder?

    ER : Comme nous l'avons mentionné brièvement plus tôt, nous avons trois collections très distinctes. Si vous cherchez un livre de cuisine publié, vous pouvez accéder au site Web de Bibliothèque et Archives Canada et consulter la base de données AMICUS. Grâce à celle-ci, nos utilisateurs peuvent chercher dans la collection de la Bibliothèque nationale. Ils peuvent donc accéder à cette base de données, l'utiliser et faire des recherches à partir d'un mot-clé. Ils peuvent saisir « livres de cuisine », « art culinaire », « cuisine ». S'ils recherchent d'anciennes recettes, ils peuvent utiliser le terme « cookerie ». J'encourage les personnes à lancer des recherches tant avec des mots français qu'anglais (« cookbooks », « cooking », « recipe ») parce qu'elles trouveront ou pourraient trouver des résultats différents. Pour ce qui est des documents conservés dans nos collections d'archives, on peut aussi effectuer des recherches avec des mots-clés, on peut saisir « recette », « nutrition », « art culinaire », « santé », « livres de cuisine ». D'ailleurs le mot « recette » a déjà été utilisé, en anglais, pour désigner la même réalité qu'en français, alors que le mot anglais « receipt », comme dans « cash receipt » (reçu de caisse), était également autrefois un synonyme, ce terme apparaît d'ailleurs souvent dans les plus anciens livres de cuisine anglais.

    GM : N'existe-t-il pas aussi une ressource en ligne, sur notre site Web, pour consulter les livres de cuisine canadiens?

    ER : Oui, c'est bien le cas. Il y a plusieurs années, une exposition, Bon appétit! La cuisine au début du Canada, a été présentée en ligne, et elle s'y trouve encore. Il s'agit d'une exposition virtuelle préparée à Bibliothèque et Archives Canada et compilée à partir d'un grand nombre de nos mentions de fonds. L'exposition est divisée en quatre sections thématiques. La première section, « La cuisine au début du Canada », est axée sur la cuisine traditionnelle des Autochtones. La seconde section est « La cuisine des pionniers ». La troisième section, « Une révolution dans la cuisine », relate les grandes innovations dans le domaine de la transformation des aliments. En dernier lieu, « La culture de la cuisine » explore la cuisine régionale et multiculturelle dans certaines recettes… des recettes triées sur le volet.

    GM : Parfait, c'est le meilleur endroit où aller pour amorcer des recherches sur les livres de cuisine.

    ER : En effet. Grâce au dépôt légal, nous avons une vaste collection de livres de cuisine du XXe siècle provenant de toutes les régions du Canada et qui n'attendent que d'être consultés par des chercheurs.

    GM : Pour en apprendre davantage sur la collection de livres de cuisine de Bibliothèque et Archives Canada, je vous invite à consulter notre site Web à bac-lac.gc.ca.

    Merci d'avoir été des nôtres. Ici Geneviève Morin, votre animatrice. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada ‒ votre fenêtre sur l'histoire, la littérature et la culture canadiennes ». Je tiens à remercier notre invitée d'aujourd'hui, Erika Reinhardt.

    Pour plus d'information sur nos balados, ou si vous avez des questions, commentaires ou suggestions, visitez-nous à bac-lac.gc.ca/balados.

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