Épisode 65 – Avro Arrow : Démystifié – Partie 2

Photographie noir et blanc de deux hommes debouts à côté d'un avion regardant à l'horizon. 

La création de la société A.V. Roe Canada après la Seconde Guerre mondiale propulse le Canada au rang de leader de l'industrie aérospatiale. L'entreprise met au point l'avion de ligne à réaction C-102 et l'Avro CF-100 Canuck, le premier avion de combat conçu au Canada. En 1953, au plus fort de la guerre froide, l'Aviation royale du Canada demande à A.V. Roe de concevoir un nouvel appareil : un avion à réaction supersonique capable de détruire les intercepteurs ennemis avant qu'ils atteignent leurs cibles en Amérique du Nord. Cet avion, destiné à servir d'intercepteur principal de l'ARC, c'était l'Avro Arrow. Même si l'Arrow est un des avions les plus perfectionnés de son époque et qu'il a le potentiel d'imposer le Canada en tant que chef de file mondial de la recherche et du développement scientifiques, le projet est finalement abandonné.

Dans la deuxième partie de cet épisode en deux volets, Palmiro Campagna discute de l'annulation du projet Avro Arrow et de rumeurs concernant cet avion.

Durée : 57:04

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Date de publication : 4 novembre 2020

  • Transcription d'épisode 65

    Josée Arnold (JA) : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : Votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Josée Arnold, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.

    Dans le deuxième et dernier volet de cet épisode, nous accueillons une fois de plus l'auteur et expert de l'Avro Arrow, Palmiro Campagna. Palmiro a écrit trois ouvrages sur cet aéronef. Le plus récent, intitulé The Avro Arrow : For the Record, est paru en 2019. Dans la première partie, Palmiro a parlé des origines de l'Avro Arrow, de son développement et des aspects techniques de l'appareil. Nous avons également parlé de certains documents sur le sujet qui se trouvent dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada.

    Aujourd'hui, nous discuterons de l'annulation du projet et de son impact sur le Canada et son industrie aérospatiale. Nous parlerons également de certaines rumeurs concernant cet avion, et nous nous pencherons sur les recherches de Palmiro à Bibliothèque et Archives Canada.

    Enregistrement du premier ministre John Diefenbaker : « N'aurait-il pas été beaucoup plus facile pour moi, au nom du gouvernement, de poursuivre le travail entrepris sur l'Arrow? C'était un bel avion. Superbe. Il n'a pas volé très longtemps, mais c'était un bel exemple de savoir-faire. En définitive, j'ai dû prendre cette décision. Car chaque premier ministre se remémore la plaque qui se trouvait sur le bureau du président Truman, sur laquelle on pouvait lire « The buck stops here » (Le responsable, c'est moi).

    Si un premier ministre prend une mauvaise décision, elle ne peut pas être réparée. Tous les premiers ministres qui ont réussi dans ce pays ont été blâmés parce qu'ils n'avaient pas pris de décisions improvisées. J'ai réalisé que c'est ce qui se passerait au sujet de l'Arrow. Lorsqu'on est confronté à un tel problème, notre force provient d'une source supérieure. Sans elle, il serait impossible de supporter les attaques qui nous sont adressées.

    Il faut aussi supporter les déclarations que personne n'oserait faire dans la vie privée, il faut avoir cette force et cette foi. Il faut y croire. Il faut être sûr qu'en fin de compte, la justice triomphera. C'est ce que j'ai réalisé. Je savais que 10 000 hommes et femmes se retrouveraient sans emploi à la suite de cette décision. Je savais qu'une grande industrie que nous avions bâtie se retrouverait affaiblie, mais il était juste d'y mettre fin. »

    JA : C'était un extrait audio d'une entrevue réalisée en 1959 par la CBC. Le premier ministre de l'époque, John Diefenbaker, défendait sa décision d'annuler le projet de l'Avro Arrow.

    Le 20 février 1959 est aujourd'hui appelé le « vendredi noir » dans l'industrie aéronautique canadienne, car c'est la date à laquelle le projet Arrow est annulé. Cette décision entraîne le licenciement de plus de 14 000 employés d'Avro et d'environ 15 000 autres personnes qui travaillent pour des sous-traitants. Comme l'écrit Palmiro Campagna dans son livre : « Non seulement un projet militaire prenait fin, mais le cœur et l'âme d'une nation ont été détruits. L'industrie aéronautique canadienne ne se lancerait plus jamais dans un projet aussi ambitieux. »

    En juillet de cette même année, tous les avions, moteurs, plans, modèles de conception et données techniques ont été détruits. Pourquoi?

    Pour commencer, il faut d'abord expliquer pourquoi le projet a été annulé. Écoutons Palmiro Campagna…

    Palmiro Campagna (PC) : C'est là que les choses se corsent et que les archives jouent un rôle majeur, du moins à mon avis. La théorie dominante à l'époque est que le programme de l'Arrow a été annulé parce qu'il coûtait trop cher. J'ai entendu dire que l'Arrow était trop coûteux pour le Canada, qu'il était tout à fait inabordable. Certaines personnes ont dit qu'il suffisait de faire le calcul. Eh bien, j'ai examiné tout ça. J'ai fait le calcul et je peux expliquer pourquoi ce calcul est inutile, alors allons-y étape par étape.

    Au moment même où le Canada dévoile l'Arrow, le 4 octobre 1957, l'Union soviétique lance le satellite Spoutnik. À l'époque, il y a ce qu'on a appelé plus tard le « missile gap ». En gros, ça veut dire que l'Union soviétique est très en avance dans la conception et le développement de missiles, et que les pays occidentaux doivent se lancer très rapidement dans ce domaine pour éviter d'être à la traîne.

    Le lancement du Spoutnik ravive évidemment cette peur. On se dit que si un pays est en mesure de lancer un satellite dans l'espace, il est aussi capable de lancer un missile nucléaire en Amérique du Nord. Il est très difficile d'intercepter un missile en vol, alors le lancement du Spoutnik est un deuxième facteur. Maintenant, on peut regarder ce que les Archives nationales nous révèlent.

    Le 23 janvier 1958, le ministre de la Défense nationale est interrogé à la Chambre des communes sur l'avenir de l'Arrow, à la suite du lancement du Spoutnik quelques mois plus tôt.

    JA : Le ministre de la Défense nationale à l'époque s'appelle George Pearkes.

    PC : Je vais citer sa réponse si vous me permettez : « L'avenir de cet avion dépendra entièrement de la nature de la menace. Cette question fait l'objet d'un examen continu, et tant que la menace persiste, le développement et la production du CF-105 se poursuivront. » [Traduction]

    Ce n'est pas du tout un secret. Cette déclaration est faite publiquement à la Chambre des communes. Le ministre ne dit pas du tout que l'appareil est inabordable; il parle seulement de la menace. Cette menace provient des bombardiers, et on estime maintenant qu'ils ne seront plus présents puisqu'ils sont remplacés par des missiles. Le ministre ne parle pas des coûts.

    Passons maintenant au 30 janvier 1958. Ce qui suit provient des archives et figure dans certains documents secrets que j'ai pu faire déclassifier. Notre ambassadeur, Norman Robertson, s'adresse au secrétaire des Forces aériennes des États-Unis. Voici ce qu'il dit : « Le développement du CF-105 était lié à l'évaluation de la menace posée par les bombardiers pilotés. Le développement d'armes de nouvelle génération nous amène à nous demander si c'est logique de consacrer une part aussi importante de nos ressources et de notre argent pour créer une arme qui serait pratiquement obsolète lors de son entrée en service. » M. Robertson évoque ici la question du coût, mais pas pour dire que c'est abordable ou non.

    En gros, il demande pourquoi nous dépenserions de l'argent pour un engin qui ne servirait à rien. Quand il dit que l'appareil pourrait devenir pratiquement obsolète, il ne parle pas des aspects techniques de l'avion, car il est très avancé pour l'époque. L'obsolescence à laquelle il fait référence porte sur le système d'armes.

    Autrement dit, n'importe quel avion serait obsolète contre un bombardement de missiles. Quand il parle d'« armes de nouvelle génération », il fait référence aux missiles balistiques intercontinentaux et au BOMARC, un missile qu'on a effectivement eu en notre possession. Ce qu'il faut savoir, c'est que le BOMARC n'est pas un missile intercontinental, il est conçu pour intercepter des avions. C'est un simple missile surface-air, mais il s'inscrit dans une nouvelle technologie en vogue.

    JA : Le système d'armes CIM-10 BOMARC de Boeing était un missile surface-air supersonique à longue portée.

    PC : Nous sommes maintenant au mois d'août 1958. Voici un rapport rédigé par les chefs d'état-major. Je dois préciser que le chef d'état-major de la Force aérienne n'est pas d'accord, d'après les notes de service et autres documents qui sont ici. C'est écrit « les chefs d'état-major », mais ce n'est pas tout à fait juste. Le président des chefs d'état-major, oui. Le chef d'état-major allié, le chef d'état-major de la Marine, etc.

    Dans l'une des conclusions du rapport, plus précisément dans un paragraphe sur les coûts, les chefs d'état-major affirment qu'ils ont de sérieux doutes à savoir si un nombre limité d'avions aussi dispendieux fournirait des rendements de défense proportionnels aux dépenses encourues, compte tenu de l'évolution de la menace et de la possibilité qu'un avion présentant des performances comparables puisse être acquis aux États-Unis à bien moindre coût.

    Bien, examinons donc cette déclaration. La dernière partie ne tient pas la route. On peut toujours acheter des avions moins chers ailleurs, mais il n'y a aucun avion comparable à l'Arrow. Ce fait est évoqué dans leurs propres analyses à plusieurs reprises, alors oublions ça. Le vrai problème, c'est quand il parle des « rendements de défense proportionnels aux dépenses encourues compte tenu de l'évolution de la menace ».

    Encore une fois, cela signifie : « Pourquoi dépenser une telle somme d'argent? » Personne ne nie que cet appareil est coûteux. C'est évident. Mais, si la menace a changé, pourquoi dépenser de l'argent pour ce projet? Encore une fois, ce n'est pas une question de capacité financière, ce n'est pas qu'il est trop coûteux pour le Canada; le vrai problème, c'est que la menace a changé. Donc, en réalité, est-ce qu'on a besoin d'un avion, peu importe le modèle? C'est ce qu'ils disent dans ce document.

    Dans le même rapport, tout ce qu'ils recommandent, essentiellement, c'est d'envisager l'abandon du programme Arrow et de se procurer plutôt des missiles BOMARC. Comme je l'ai dit, le BOMARC est un missile antiaérien, donc selon leur théorie, s'il y a moins d'avions qui se dirigent vers nous, on peut utiliser le BOMARC pour les contrer. Nous sommes le 28 août 1958. Cette théorie fait écho aux propos de Norman Robertson et du ministre de la Défense nationale.

    Quelle est donc cette menace? Eh bien, j'ai pu obtenir un document déclassifié de la CIA datant de mars 1957, classé très secret à l'époque. La CIA énonce dans ce rapport que l'Union soviétique pourrait être en mesure de lancer un satellite dans l'espace. Et effectivement, Spoutnik prend son envol quelques mois plus tard. Le lancement du satellite a donné de la crédibilité au rapport.

    Selon le rapport, en 1960, on s'attend à ce que les Soviétiques possèdent jusqu'à 100 missiles intercontinentaux, en 1961, jusqu'à 300 puis 500, 700, jusqu'à 1 000 en 1965. C'est sur ce genre de renseignements que reposent les décisions quand on pose la question : « Avons-nous besoin d'un avion si nous allons être attaqués par des missiles? » C'est un rapport très intéressant. Poursuivons. L'armée donne sa réponse en août.

    Ça nous amène au 7 septembre 1958. S'il y a bien une personne qui doit savoir ce que coûte l'Arrow, c'est le ministre des Finances, Donald Fleming. Que dit-il? Là encore, il s'agit d'un document classé secret à l'époque. Il dit : « Concernant les questions de défense, le premier ministre fait naturellement passer la sécurité du pays avant les finances. Quand le maintien du programme du CF-105 a été recommandé en 1957, il y a un an, il a appuyé cette recommandation. Toutefois, les militaires estiment maintenant que le programme doit être annulé. Plus important encore, les autorités militaires estiment désormais que l'avion n'est pas nécessaire. » [Traduction]

    Examinons cette déclaration. Voilà la personne qui sait ce que ça va coûter. En 1957, il soutient le programme. En 1957, ils savent déjà que l'Arrow coûte beaucoup d'argent.

    Quand le ministre Pearkes formule son commentaire en janvier 1958, on connaît les coûts liés à l'Arrow et ce qu'il coûterait encore. Quant à Donald Fleming, c'est la même chose. En tant que ministre des Finances, il est au courant des coûts supplémentaires qui seraient engendrés, mais il n'en dit pas un mot. Il dit que les autorités militaires ont décidé que l'avion n'était pas nécessaire.

    Là encore, c'est parfaitement cohérent avec le rapport du mois d'août, avec les propos de Norman Robertson, avec ce que déclare George Pearkes, le ministre de la Défense nationale. Ces gens connaissent le coût final de l'avion.

    Donc, nous sommes en septembre 1958. Examinons maintenant un document très secret que j'ai fait déclassifier. Il date du 6 février 1959.

    C'est un autre document militaire émis par des chefs d'état-major. Ils n'ont pas changé d'avis : pour eux, l'évolution de la menace, les progrès technologiques rapides (en particulier dans le domaine des missiles) et la diminution des besoins en intercepteurs pilotés au Canada, sèment le doute sur la possibilité qu'un nombre limité d'avions aussi dispendieux permette d'obtenir un rendement de défense proportionnel aux dépenses engendrées.

    Donc, là encore, ils répètent essentiellement ce qu'ils ont dit dans le rapport de 1958. Il ne s'agit pas uniquement d'une question d'argent, mais en fait d'une combinaison de facteurs, à savoir : « Qu'allons-nous obtenir en retour d'un tel investissement? » Aujourd'hui encore, on parle de rendement de l'investissement. Si nous devons dépenser de l'argent, dépensons-le pour quelque chose qui en vaut la peine. Selon eux, à l'exception du chef d'état-major de la Force aérienne, ce ne serait pas un bon investissement. Ce n'était pas que nous n'avions pas les moyens.

    Alors, ils annulent le programme le 20 février 1959. Passons maintenant au 6 février 1960. Nous avons entre les mains les documents du Comité de défense du Cabinet. Ces documents sont eux aussi classés secrets. L'histoire a toujours blâmé le premier ministre John Diefenbaker pour l'annulation du programme et tout le reste.

    C'est vrai qu'il prend la décision finale, mais il se fie aux conseils qu'il a reçus. Quoi qu'il en soit, ces documents précisent que, selon le premier ministre, le public est convaincu qu'il est sage d'annuler le projet Arrow. Ce serait très embarrassant d'obtenir d'autres avions maintenant, au moment où la menace posée par le bombardier piloté diminue et que les jours de l'intercepteur sont comptés, à moins qu'une explication raisonnable puisse être donnée. Il était contre l'annulation de l'Arrow, mais il s'est laissé convaincre du contraire.

    Ainsi, en 1960, ils affirment toujours que le programme a été annulé en raison de l'évolution de la menace. Ce qu'on doit retenir ici, c'est que Diefenbaker était contre l'annulation de l'Arrow. Or, pour autant que je sache, il a déclaré publiquement plus tard que c'était la bonne décision à prendre. Les documents dont il s'agit sont des documents de décisions. Des documents classés secrets. J'ai ici une petite note tirée de ses mémoires. Je sais que j'ai dit qu'on ne retrouverait pas beaucoup d'éléments intéressants après les faits, mais dans ses mémoires, il dit que la question a été finalement tranchée par l'incapacité des chefs d'état-major à signaler un nouveau développement militaire qui justifierait la production de l'Arrow.

    Encore une fois, on insiste sur le fait que, sans cette histoire de missiles, nous aurions l'Arrow. C'est en février 1960. Allons encore un peu plus loin. Discussion au Cabinet, juillet 1960, peu de temps après. C'est un autre document classé secret. Au paragraphe B, on peut lire que les États-Unis recommencent à mettre l'accent sur les bombardiers parce que, d'après leur propre expérience, les missiles ne se développent pas comme prévu. Ils supposent que l'URSS rencontre des problèmes similaires dans le cadre de son programme de missiles. En fait, on dit que seulement cinq missiles intercontinentaux américains sont opérationnels. Un nombre bien différent de celui donné au premier ministre à Washington en juin.

    Voilà donc que, peu après l'abandon du projet de l'Arrow, tout à coup, les avions redeviennent importants et nous avons besoin d'avions. Si les dirigeants avaient attendu et obtenu ces renseignements, je suis convaincu que des Arrow sillonneraient le ciel et qu'on en aurait fait la production.

    C'est incroyable que la décision du premier ministre repose sur des renseignements erronés. Ça soulève des interrogations concernant le renseignement au pays. Ils devaient certainement savoir de combien de missiles leur propre pays disposait. D'accord, ils ne savaient pas ce qui se passe en Union soviétique ou ailleurs, mais le message est assez clair.

    Si je me fie à ces documents décisionnels, classés secrets et très secrets à l'époque, la raison de l'annulation du projet de l'Arrow est toute simple : nos dirigeants, pour une raison ou une autre, croient que les missiles vont constituer le nouveau mode d'attaque de l'ennemi et que les chasseurs à réaction ne seront plus en vogue. Voilà pourquoi l'Arrow est annulé.

    À tort ou à raison, qu'on nous ait donné ou non des informations erronées, délibérément ou non, c'est un autre débat. Le fond du problème, comme le révèlent tous ces documents, semble être que l'Arrow est annulé à cause de l'évolution de la menace, pas parce qu'il est inabordable ou trop coûteux.

    JA : George Pearkes, le ministre canadien de la Défense nationale, a déclaré que la poursuite du projet de l'Avro Arrow dépendrait de facteurs militaires. Comme le mentionne Palmiro, et d'après les nombreux documents qu'il a découverts ici à Bibliothèque et Archives Canada, le coût ne semble pas être un facteur. Il affirme que la menace des bombardiers pilotés semble diminuer et que le système de missiles Boeing BOMARC est considéré comme la meilleure arme pour intercepter des missiles balistiques intercontinentaux en provenance de l'Union soviétique.

    Est-il possible que la technologie de l'Arrow ne fût pas aussi avancée qu'on le pensait au départ? Est-ce une autre raison qui a motivé la décision du gouvernement d'annuler le projet? Palmiro nous éclaire sur ce point…

    PC : Sur le plan technique, l'Arrow dispose d'un système de contrôle de vol avancé. Ce qu'on veut dire par là, c'est que dans la plupart des avions, lorsque le pilote déplace le manche, il y a une série de tringleries et de systèmes hydrauliques et autres qui font bouger les ailerons de l'avion pour qu'il puisse monter ou descendre. L'Arrow le fait grâce à un système que nous appelons aujourd'hui « commande de vol électronique ». Tout est contrôlé électroniquement.

    Évidemment, il y a encore de l'hydraulique aux extrémités, mais pour transmettre le signal du pilote à l'appareil, ça passe par des fils, par l'électronique. Dans l'Arrow, les éléments électroniques sont transistorisés. On parle des années 1950. Les transistors sont vraiment entrés en vogue beaucoup plus tard, alors nous sommes ici à un stade d'utilisation des transistors assez avancé. Le moteur Iroquois lui-même a été conçu à base de titane, un matériau beaucoup plus léger et résistant que l'acier ou l'aluminium. Là encore, des progrès ont été réalisés.

    Nous avons fait des progrès en matière d'hydraulique. La plupart des avions de l'époque utilisent un système hydraulique à pression de 3 000 livres par pouce carré pour faire bouger les surfaces. L'Arrow est à 4 000 livres par pouce carré. C'est donc possible d'utiliser des tubes plus fins et plus légers, tout en conservant la pression nécessaire pour déplacer les surfaces. Encore une fois, les avancées dans ce domaine n'ont pas été utilisées avant la création du bombardier furtif B 2 dont on vantait le système hydraulique à pression de 4 000 livres par pouce carré. Aujourd'hui, nous sommes bien au-delà. En ce qui concerne l'avion, il est très évolué. Il intègre toutes ces caractéristiques dans une seule cellule.

    Ceci étant dit, je prends toujours soin de souligner un aspect particulier. C'était il y a plus de 60 ans maintenant. Oui, nous étions avancés, car ces caractéristiques n'ont fait leur apparition dans d'autres avions que quelques années plus tard, mais elles ont fini par s'y retrouver. Non seulement elles ont été intégrées à d'autres avions, elles ont été largement dépassées depuis. Aujourd'hui, nous avons des commandes de vol à transmission par fibre optique, sans fils. Nous avons la furtivité ou, plus exactement, la faible observabilité. Nous avons une vision à 360 degrés pour le pilote parce que le fuselage de l'appareil est muni de capteurs. Il reçoit des informations du sol, des satellites et des autres avions en vol. Le pilote sait exactement ce qui se passe tout autour de lui, à 360 degrés. C'est du F-35 que je parle.

    Il faut se rappeler que les systèmes d'armes et de conduite de tir ne sont pas installés sur l'Arrow lors des essais. Le projet est annulé avant que nous arrivions à cette étape. Personne ne peut dire : « Eh bien, c'est ce qui l'aurait rendu inutile, etc., etc. ». Nous n'en avons aucune idée, mais si nous tenons compte du taux de réussite obtenu et de l'expérience des personnes chargées de la conception… Lorsque ces personnes sont licenciées, 25 d'entre elles se retrouvent à la NASA. Elles conçoivent la capsule de John Glenn, le module lunaire, certains aspects de la navette spatiale, etc.

    Ces personnes possédaient des connaissances considérables. Leur départ est qualifié de grand exode des cerveaux à l'époque. Au total, 25 employés d'Avro vont à la NASA, alors que d'autres sont embauchées par des entreprises spécialisées dans le développement d'avions. Jim Floyd devient consultant pour le Concorde. Il n'est pas impliqué directement dans la conception de l'avion; son travail est lié à la suppression du bang supersonique, entre autres. Ces gens sont assez… ils savent ce qu'ils font. Tout argument selon lequel l'Arrow est imparfait d'une manière ou d'une autre ne tient plus la route, comme le prouve la documentation.

    JA : Nous parlerons plus tard de certains employés d'Avro qui se sont retrouvés à la NASA, mais pour l'instant, venons-en à la question que nous avons posée dans notre introduction concernant la destruction de tous les avions, les plans, les moteurs et les données techniques. Qui a pris cette décision et pourquoi?

    PC : Cette décision a toujours été un élément controversé du casse-tête. Quelqu'un a d'ailleurs écrit au ministre de la Défense nationale pour lui poser la question. Il a essentiellement répondu : « Nous sommes arrivés à récupérer une somme X grâce à la vente des matériaux », ce genre d'argument. L'annulation du projet entraîne la fin des dépenses. Encore une fois, grâce aux Archives nationales, j'ai trouvé deux éléments de réponse. L'un d'eux est une note de service rédigée en mars 1959, juste après l'annulation du projet. Elle provient de Hugh Campbell, le chef d'état-major de la Force aérienne, et elle est adressée au ministre de la Défense nationale. Ils discutent de ce qu'il faut faire avec tout ce qui se rapporte à l'Arrow.

    En général, la Défense nationale fonctionne de la manière suivante : quand vous annulez un projet et qu'il reste du matériel, qu'il s'agisse d'un char d'assaut, d'un avion ou d'un bureau, peu importe, ce matériel est envoyé à ce qu'on appelle alors la Corporation de disposition des biens de la Couronne. Ils peuvent le vendre tel quel, dans l'état où il se trouve.

    Quoi qu'il en soit, dans cette lettre, M. Campbell dit que, si nous donnons les avions à la Corporation de disposition des biens de la Couronne, elle pourrait les vendre dans leur intégralité, et que ce serait embarrassant si quelqu'un les achetait pour en faire un étalage routier. Mais en fait, quand il s'agit de ce genre de biens, je pense qu'ils sont désignés comme protégés, ou quelque chose comme ça. Une personne ne peut pas simplement acheter un Arrow ou un tank, par exemple. On peut donc ressentir sa frustration à la lecture de la note.

    Nous avons compris plus tard, encore une fois grâce à certaines archives, que personne ne veut admettre avoir donné l'ordre de tout détruire. Ce document pointe George Pearkes du doigt, car il répond à Hugh Campbell : « D'accord, dans ce cas, nous devrions tout détruire avant que le matériel soit transféré à la Corporation de disposition des biens de la Couronne ». Cette réponse est acceptée par plusieurs autres personnes qui, au fil des ans, ont toutes nié avoir eu connaissance de ce qui se passait. J'ai trouvé un document très similaire, dans lequel on peut lire : « Oui, nous allons le détruire », suivi d'un tas de signatures. Eh bien, j'ai retrouvé l'un des signataires, le vice-maréchal de l'Air Easton, qui, je crois, était le dernier chef de projet à avoir travaillé sur l'Arrow.

    Je lui ai demandé : « Pourquoi? » Et il m'a répondu : « Nous savions que nous avions entre les mains l'un des appareils les plus avancés au monde, les cinq Arrow terminés et les autres. » Il a ajouté : « Nous savions aussi qu'il y avait des taupes dans l'usine Arrow. » Une taupe est une personne qui était là pour dénicher des informations techniques sur le projet et les transmettre, dans ce cas précis, à l'Union soviétique.

    JA : Une taupe est aussi appelée un espion…

    PC : Il a dit : « Nous ne pouvions pas assurer la sécurité de l'appareil. Une fois le projet annulé, il n'y avait plus grand-chose que nous pouvions en faire. » Nous n'avions que cinq avions. Nous ne pouvions pas les faire voler ou quoi que ce soit. Ils ont essayé d'intéresser le Conseil national de recherches, leur demandant même s'ils pouvaient les utiliser comme bancs d'essai statiques, par exemple.

    En fait, c'est l'une des raisons pour lesquelles le nez, le cockpit du 206, existe toujours. Il a été envoyé à l'Institute of Aviation Medicine de Toronto. D'autres ont dit qu'il était allé au Conseil national de recherches. Mais il n'est pas allé au Conseil, il a été envoyé à cet institut, qui fait partie de l'ARC dans la région de Toronto. Ils l'ont utilisé pour tester des combinaisons pressurisées et d'autres équipements, car ils pouvaient pressuriser la cabine. En gros, Easton a dit : « Il n'y avait rien d'autre à faire avec ces appareils. Donc pour protéger l'Arrow, nous l'avons détruit, avec toutes les informations techniques. »

    La revue Aviation Week a d'ailleurs consacré un article à ce sujet en 1959. On y cite des responsables du gouvernement canadien qui affirment que les informations techniques ont été détruites, car elles auraient pu aider un ennemi potentiel. C'est l'époque de la guerre froide, un moment de l'histoire où l'espionnage et le contre-espionnage soulèvent de nombreuses préoccupations. En fait, un livre très intéressant a paru il y a quelques années. Il s'intitule — en fait, je ne suis pas certain du titre — Shattered Illusions, par Don Mahar, un Canadien qui a travaillé pour le SCRS.

    JA : SCRS signifie Service canadien du renseignement de sécurité, le principal organisme de renseignements du Canada.

    PC : L'auteur y parle des taupes qui se trouvent dans l'usine. Il y a une taupe dans l'usine même, qui recueille des informations, puis il y a son contact, comme ils l'appellent, à l'extérieur, qui obtient ces informations et les transmet à l'Union soviétique.

    Ces faits sont évoqués dans d'autres documents, même en Europe. Il y a quelques années, juste avant ou juste après l'effondrement de l'Union soviétique je pense, un archiviste militaire a fui l'Union soviétique. Il a emporté avec lui 10 000 pages de documents transcrits. Avec l'aide d'un historien britannique, il a écrit un livre intitulé The Mitrokhin Archive, ou quelque chose comme ça. Il y a une page qui parle des deux employés de l'usine Avro impliqués dans la divulgation de secrets à l'Union soviétique.

    C'est la seule explication que j'ai pu trouver pour justifier la destruction totale. Ce qui est intéressant, c'est que lorsque vous regardez ces ordres de destruction, ils ne parlent pas de détruire les photographies. J'ai interrogé certaines personnes, d'anciens employés d'Avro, qui ont dit : « Non, non, on nous a ordonné de tout détruire. » Cela pourrait très bien être le cas, vous savez, les gens interprètent les ordres de différentes façons, mais nous ne trouvons aucun ordre du gouvernement à cet effet. Aujourd'hui, beaucoup de photos et de vidéos ont survécu, différentes choses. Oui, c'est la raison pour laquelle, malheureusement, ils ont décidé de tout détruire.

    JA : Si presque tout ce qui se rapporte à l'Arrow a été détruit, les recherches à Bibliothèque et Archives Canada ont dû être compliquées… Palmiro nous fait part de ses méthodes de recherche qui lui ont permis de mettre au jour tous ces documents.

    PC : Les documents techniques ont été détruits, mais pas les notes de service, les documents de décision et ce genre de choses. Le problème est de trouver les documents. Ce n'est pas facile. Quand je suis arrivé aux Archives et que j'ai demandé tout ce qui se trouvait sur l'Arrow d'Avro, j'ai reçu une boîte réunissant quelques dossiers, environ 30 ou 40 pages, qui ne contenaient pas grand-chose. J'ai dû formuler des demandes plus générales.

    En d'autres termes, je trouvais des dossiers ou encore… Voyez-vous, les Archives ont un index des titres de documents qui donne une idée de leur contenu. J'ai donc cherché des titres comme « Défense aérienne, 1940 à 1960 » ou « Transport aérien » pour la même période, ce genre de choses. C'est en procédant ainsi que j'ai pu trouver tous les autres documents, après avoir cherché des heures et des heures. Il s'agissait simplement de poser des questions génériques, puis de parcourir des milliers et des milliers de dossiers pour découvrir ce qui s'y trouvait.

    Dans certains cas, j'ai même demandé s'il y avait des dossiers concernant des personnes en particulier. J'ai demandé ce qu'il y avait sur George Pearkes et j'ai obtenu certains documents à son sujet. J'ai aussi demandé des documents sur Pearson à l'époque où il était ministre libéral, ce genre de requêtes. J'ai parcouru tous ces dossiers, les conclusions du Cabinet, les documents du Conseil privé. J'ai demandé : « Avez-vous des documents du Conseil privé de cette époque, dans les années 1950, les discussions d'ordre général qui s'y déroulaient? » On retrouve bien sûr toutes sortes d'informations. C'est là que j'ai trouvé certaines de ces déclarations.

    JA : En plus d'obtenir des documents grâce à notre processus courant de demandes d'accès à l'information et aux photocopies qu'il a commandées, Palmiro a profité du Numéri-Lab de BAC situé au 395, rue Wellington à Ottawa. Le Numéri-Lab permet aux chercheurs et aux usagers de numériser et de contextualiser les collections de BAC qui présentent un intérêt pour leur recherche, leur travail ou leur collectivité. Tous les documents numérisés dans ce laboratoire sont mis en ligne et accessibles au grand public. Vous trouverez plus de renseignements sur le Numéri-Lab sur le site Web de Bibliothèque et Archives Canada.

    Dans la première partie de cet épisode, nous avons discuté avec deux employés de BAC, Kyle Huth et Andrew Elliott, des documents que l'on retrouve sur l'Avro Arrow dans les collections gouvernementales et privées de l'institution. Puisque M. Campagna a effectué des recherches très fouillées pour rédiger ses trois livres sur l'Arrow et qu'il est l'un des plus grands spécialistes de cet aéronef, nous lui avons demandé quels sont les autres documents intéressants qui se trouvent dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada et qui l'ont aidé dans ses recherches.

    PC : Les documents de plusieurs services sont à notre disposition. En fait, dans mon dernier livre, j'ai énuméré ceux que j'ai utilisés. Si vous regardez mes autres livres, les références sont toutes là, mais ce sont en fait les documents du ministère de la Défense nationale, du ministère de la Production de la défense, les dossiers de Lester B. Pearson et les dossiers de John Diefenbaker, bien qu'ils ne contenaient pas grand-chose. Je pense que la plupart de ses dossiers se trouvent en Saskatchewan, mais je me souviens qu'il y avait quelques documents ici et là. Il y a aussi des documents du ministère des Transports, de Trans-Canada Airlines ou d'Air Canada.

    Vous avez accès à tous ces documents. Ils ont maintenant été catalogués en guides thématiques.

    Maintenant, vous pouvez même chercher des documents sur l'Arrow en ligne; vous allez éviter l'enfer que j'ai vécu, si j'ose dire, pour les trouver.

    JA : Les guides thématiques aident les utilisateurs et les chercheurs en leur fournissant des informations générales et des liens vers d'autres documents. Ils mettent en évidence la richesse du contenu existant dans certains domaines précis, mais ils ne fournissent pas une couverture complète sur un sujet. BAC dispose d'un guide thématique sur l'Arrow que l'on peut facilement trouver dans la section de notre site Web sur le patrimoine militaire.

    PC : Ils sont tous bien classés et catalogués et, pour autant que je sache, non classifiés. Vous avez également des photographies dans diverses collections. Certaines d'entre elles ont été données après coup, par des particuliers.

    Vous avez des vidéos dans votre section consacrée aux images en mouvement et aux enregistrements sonores, des vidéos muettes et des documents audiovisuels comme le court métrage Supersonic Sentinel. Il y a aussi des vidéos des lancements des différents modèles accompagnées d'un enregistrement sonore. Vous pouvez les consulter. Ils ont été déclassifiés. En fait, il existe toute une série de documents qui sont très faciles d'accès aujourd'hui, parfois même en ligne. Ils ont été numérisés et vous pouvez les télécharger depuis votre bureau, comme vous le souhaitez.

    JA : Depuis l'annulation du projet de l'Arrow, il y a 60 ans, de nombreuses rumeurs ont circulé. Nous sommes convaincus que Palmiro a entendu parler de certaines d'entre elles et a même écrit à ce sujet. En voici une dont nous lui avons parlé.

    Existe-t-il encore aujourd'hui des appareils Avro Arrow complets, qui auraient survécu au démantèlement?

    PC : Non. Je sais que beaucoup de gens s'accrochent à l'espoir qu'il y ait encore au moins un Arrow quelque part, mais je suis convaincu que tout a été détruit. Tout à l'heure, j'ai parlé d'une note de service datant de juillet 1959, je pense, qui dit sans équivoque que trois des cinq avions ont été entièrement démontés. Le démantèlement des deux autres a été achevé dans les semaines suivantes et l'Arrow 206 a été complètement démonté. En juillet, on sait exactement ce qui a été démonté et ce qui ne l'est pas.

    Tous ceux qui auraient pu avoir intérêt à cacher l'Arrow ou à le voler d'une manière ou d'une autre ont quitté l'entreprise. Il n'y a plus rien là-bas, et tout le monde sait que les chalumeaux s'en viennent et que tout sera bientôt découpé. Je pense que ces rumeurs viennent entre autres de certaines photos qui ont été prises, surtout la photo aérienne noir et blanc qui montre cinq Arrow sur le tarmac. Le cinquième appareil commence déjà à être démonté. Il y a aussi des photos en couleur qui ont été prises sous un autre angle. Sur ces photos, ce même avion a été démonté encore davantage, donc on sait que cette photo a été prise juste après celle en noir et blanc, mais l'Arrow 202, qui apparaissait plus loin sur la première photo, est complètement absent.

    Il est impossible qu'ils l'aient démonté entre le moment où ces deux photos ont été prises. La seule hypothèse qui me semble plausible, c'est que nous savons, toujours grâce aux archives, qu'ils étaient en train d'installer le système de commande de tir Hughes provenant des États-Unis sur l'Arrow 202. C'était un système classé très secret. Nous savons que les taupes essayaient d'obtenir des informations sur tout ce qu'elles pouvaient. Je pense que le 202 a été ramené dans le hangar pour enlever l'équipement sans que personne ne prenne de photos, ne vole au-dessus ou quoi que ce soit, et que c'est là qu'il a été détruit. Alors non, aucun Arrow n'a survécu.

    JA : N'y a-t-il pas des pièces d'un des appareils au Musée de l'aviation et de l'espace du Canada, à Ottawa?

    PC : Le cockpit de l'Arrow 206 se trouve au Musée de l'aviation. C'est celui qui a été envoyé à l'Institute of Aviation Medicine de Toronto, et non au Conseil national de la recherche. De près, vous pouvez même voir les marques laissées par les chalumeaux à l'endroit où l'avion a été découpé en morceaux. Le Musée possède également deux extrémités d'ailes qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas exposées. Il y a aussi un moteur Iroquois en exposition.

    Le Musée possède une partie du train d'atterrissage avant, je crois, qui est toujours exposée, et c'est à peu près tout. La collection du Musée contient un missile BOMARC, qui a en quelque sorte remplacé l'Arrow après l'annulation. Je pense que ce sont les plus grandes pièces qui sont encore exposées. Un radôme, la pièce noire à l'avant de l'avion, est exposé au Musée canadien de la guerre, ici à Ottawa. Je pense qu'ils en ont un ou deux ailleurs au Canada. Il y a des petits bouts ici et là, mais rien d'important.

    JA : Une histoire raconte que la partie de la pointe avant de l'Avro Arrow exposée au Musée de l'aviation et de l'espace du Canada aurait été sortie clandestinement de l'usine Avro par des membres du Centre de médecine des équipages d'aéronef de l'ARC. Le commandant de cette unité, le commandant Roy Stubbs, a expliqué au magazine Western Canada Aviation Museum comment ils s'y sont pris. Je traduis :

    « Un jour, à la suite d'un changement de gouvernement, le nouveau chef d'état-major de la Force aérienne de l'Aviation royale du Canada est venu inspecter nos installations et nos programmes. Après le dîner, je lui ai demandé s'il voulait voir un objet exceptionnel. Je lui ai montré un morceau du cockpit et des nacelles réacteurs de l'Arrow, et quelques autres pièces. Je lui ai demandé ce que nous devions en faire et il m'a répondu de tout cacher jusqu'à ce que le contexte à Ottawa soit favorable. Il s'arrangerait pour les envoyer au Musée national de l'aéronautique à Ottawa. Ce fut fait, et au moins un fragment d'histoire a été sauvé. »

    JA : Nous avons interrogé Palmiro sur l'impact de cette annulation. Quelle a été la réaction des Canadiens?

    PC : Dans la semaine qui suit l'annulation, 10 000 employés se réunissent dans le colisée de l'Exposition nationale canadienne à Toronto. L'usine Avro se trouve à Malton, à l'ouest de Toronto. Ils font ce qu'ils peuvent, ils protestent, mais en vain. J'ai vu dans les dossiers que des gens ont écrit au ministre pour lui demander de ne pas annuler le programme. De façon générale, de nombreux articles de journaux disent que l'annulation est une bonne chose, parce qu'ils ont l'impression que l'appareil coûte trop cher, qu'il est au-dessus de nos moyens.

    Un ou deux journalistes en particulier, je ne me souviens plus de leur nom, sont vraiment contre l'Arrow pour une raison quelconque. Beaucoup de négativité d'une part, mais d'autres personnes soulignent tous les avantages que présente cet avion. Je suppose que le débat n'a jamais cessé. Je rencontre encore toutes sortes de gens qui ont été touchés par l'annulation et qui parlent de conséquences dévastatrices pour leur famille.

    Certains retournent en Grande-Bretagne parce qu'ils ont immigré ici justement pour travailler dans la haute technologie. D'autres, comme nous l'avons dit plus tôt, vont travailler aux États-Unis pour la NASA ou d'autres organismes. Un type a fini par travailler comme pompiste pendant quelques années avant de pouvoir réintégrer l'industrie aéronautique. L'impact fut bien réel, et on le sent encore aujourd'hui.

    JA : Nous avons demandé à Palmiro de nous en dire plus sur les employés qui ont abouti à la NASA. Que s'est-il passé?

    PC : Quelques jours après l'annulation du projet, la NASA et quelques autres entreprises américaines installent des bureaux au Canada et embauchent du personnel. En fait, ils avaient déjà entrepris des négociations avec Avro. Pourquoi tiennent-ils à ce point à embaucher les employés d'Avro? J'ai évoqué le sujet dans mon dernier livre. Ce n'est pas parce que la NASA n'a pas les employés qu'il faut pour ce travail. Le problème, selon les explications que j'ai reçues à l'époque, c'est que les personnes qui font de la recherche dans le domaine spatial sont des scientifiques, des ingénieurs, peu importe, qui travaillent dans un domaine très pointu.

    La NASA a donc besoin de personnes qui ont de l'expérience dans l'industrie, en marketing ou en gestion du personnel. Or, les employés d'Avro travaillent dans leur industrie. Le problème, c'est que la NASA envisage un programme de deux ans. Ils ont du mal à convaincre les gens de quitter un bon emploi pour aller travailler pour eux pendant deux ans, sans aucune garantie par la suite. C'est certain que votre usine va embaucher quelqu'un pour vous remplacer tout de suite après votre départ.

    Le projet Avro est mis au rancart, tout est annulé. Nos employés ont tout ce qu'il faut : de l'expérience en ingénierie, en gestion, en communications et en marketing. Les 25 personnes ont exactement le profil que recherche la NASA en ce moment-là pour aider les 400 ou 500 personnes qui travaillent dans leurs laboratoires à créer de véritables produits, à concevoir la capsule dont ils ont besoin pour John Glenn.

    C'est ça la contribution d'Avro. Ils auraient pu rester au Canada si nous avions eu du travail pour eux ou si nous avions pu utiliser leur savoir-faire. Certains sont allés aux États-Unis, d'autres sont retournés en Grande-Bretagne ou ailleurs, d'autres étaient Canadiens… il y avait des personnes venues de plusieurs pays. Je pense que sur les 25 qui sont allés travailler à la NASA, au moins 10 ou 12 sont nées au Canada. Les autres ont obtenu leur citoyenneté canadienne. Je ne sais pas ce que les douze autres sont devenus, à part qu'ils sont allés aux États-Unis pour travailler.

    JA : Cette discussion sur la NASA nous ramène à d'autres rumeurs du passé. Dans son premier livre, Palmiro mentionne une rumeur persistante selon laquelle les États-Unis auraient fait pression sur le Canada pour qu'il annule le projet. Nous avons demandé à Palmiro, d'après ses recherches menées ici à BAC, quel était selon lui le rôle du gouvernement américain dans la décision.

    PC : Oui, c'est une question intéressante qui se pose. Dans les documents et les archives du Canada et des États-Unis, l'empreinte américaine se trouve pour ainsi dire partout.

    C'est donc une vraie question, à laquelle j'essaye de répondre un peu dans mon premier livre. Si les Américains ont une intention malveillante ou une raison de vouloir annuler l'Arrow, quelle peut être cette raison? J'émets certaines hypothèses, et je me rends bien compte qu'il n'y a aucune certitude. Leur programme d'avions-espions U-2 risque d'être compromis si les Soviétiques obtiennent la technologie Arrow et construisent leurs propres avions capables de les abattre. Le but est d'essayer de comprendre si les Américains ont une quelconque raison d'être contrariés ou inquiets au sujet des activités menées au Canada.

    Nous savons très bien que l'industrie américaine est réticente, car elle ne veut pas que les États-Unis envisagent d'acheter un avion étranger, en particulier l'Arrow. C'est bien documenté, c'est écrit noir sur blanc, alors qui sait si les membres de cette industrie ne font pas pression quand nos représentants se présentent là-bas pour dire : « Pourquoi vous n'envisagez pas d'acheter... Vous nous avez incités à construire cet avion. Pourquoi ne l'achetez-vous pas? »

    Les documents montrent que les Forces aériennes américaines s'intéressent beaucoup à l'Arrow. Elles veulent l'intégrer à leur flotte. C'est écrit, et certaines personnes l'ont souligné comme une preuve que les États-Unis travaillent avec nous. Mais attendez un peu! C'est certain que les Forces aériennes veulent l'Arrow, elles nous ont même prêté leurs souffleries. Mais au niveau bureaucratique et gouvernemental, c'est une toute autre histoire. Le secrétaire des Forces aériennes a déclaré très clairement : « Il n'y a aucune chance qu'ils achètent un jour l'Arrow. »

    Leur responsable des affaires extérieures dit la même chose : ils ne peuvent pas acheter l'Arrow parce que leur propre industrie a des problèmes et qu'ils doivent la soutenir. Il y a plusieurs aspects à examiner, mais en définitive, la question à se poser est la suivante : est-ce qu'il y a eu une intention malveillante, ou ça s'adonne que nous avons accepté tous les renseignements qui nous ont été fournis pour prendre la décision?

    Nous devons nous en tenir là, car la question me semble impossible à trancher par des preuves. Certaines personnes ont essayé de consulter des documents aux États-Unis jusqu'à leur mort. C'est très difficile, même si j'ai réussi à en obtenir quelques-uns. Pour revenir à la question, je crois avoir dit qu'il y avait plus de… pas de pression, mais… d'influence. Il faut le reconnaître, car l'influence est visible un peu partout. Tous les documents parlent de ce que nous recevons des États-Unis ou de ce que nous attendons d'eux. En arrière-plan, il y a toute cette question de l'intention malveillante ou non.

    JA : Comment l'Arrow a-t-il marqué l'histoire du Canada?

    PC : C'est une question intéressante. Chaque fois qu'il est question de l'Arrow, ça fait les manchettes, que ce soit l'anniversaire de l'annulation, une pièce qui a été sortie de l'eau ou un nouveau livre publié sur le sujet. Cette histoire a laissé une énorme empreinte sur le pays parce que beaucoup de personnes ont été touchées par l'annulation. Comme je l'ai dit, quand je dédicace des livres, des gens viennent me voir, même ici à Ottawa, pour me raconter comment leur parent, leur père, leur oncle ou leur frère a travaillé sur le projet et a été dévasté par son annulation. Ils ont dû faire leurs valises et partir.

    Un homme m'a raconté une histoire très intéressante. Il a dit que juste après l'annulation, ils ont fini par rappeler quelques personnes parce que l'entreprise a poursuivi ses activités pendant deux ans. Son père était l'un d'entre eux parce qu'il avait travaillé sur des systèmes électroniques spécialisés. Les autres membres de son équipe n'ont pas eu cette chance et étaient sans emploi. Son père les a donc embauchés pour peinturer sa maison pour qu'ils aient au moins un peu de travail en attendant. C'est incroyable.

    À ces histoires s'ajoutent les 25 000 à 100 000 personnes touchées, et les entreprises qui auraient fermé leurs portes à cause de la décision. Je n'ai pas été en mesure de déterminer lesquelles ont fermé, je pense que ce serait pratiquement impossible. On parle d'environ 650 sous-traitants. L'Arrow a eu un impact énorme. L'un des plus importants est peut-être la question de savoir ce qui serait arrivé si… Parce que ces employés n'allaient pas seulement travailler sur les avions, ils auraient pu travailler sur toutes sortes de choses.

    Ils avaient plein d'idées que nous avons perdues à cause de leur départ. C'est pourquoi j'ai intitulé un de mes chapitres « A Future Lost », c'est-à-dire « Un avenir perdu ». Oui, nous nous sommes repris, nous avons fait d'autres choses, et les gens parlent du bras canadien et tout le reste. Nous avons fait d'excellentes choses dans ce domaine, mais je pense que l'Arrow a toujours été au centre des discussions, en raison de cette interrogation : « Que serait-il arrivé si…? »

    JA : Dans son premier livre sur l'Arrow intitulé Storms of Controversy, Palmiro a écrit : « Bien qu'il ait été dit que l'industrie aérospatiale canadienne a subi un dur coup avec l'annulation de l'Arrow, je crois que le pays tout entier a été affecté sur le plan psychologique. » [Traduction] Nous lui avons demandé ce qu'il entendait par là.

    PC : La raison pour laquelle j'ai écrit cette phrase dans mon premier livre, c'est que j'ai grandi à la fin des années 1950 et au début des années 1960, et il y avait toujours cette… je ne sais pas si on peut appeler ça une attitude, cette idée selon laquelle si c'est Canadien, ça ne peut pas être bon. Je ne peux pas prouver que ça vient de l'annulation de l'Arrow ou d'autres facteurs, mais pour une raison bizarre, nous avons toujours eu le sentiment que, si des Canadiens l'avaient développé, il devait y avoir un problème avec.

    C'est pourquoi j'ai un peu généralisé et dit que l'annulation aurait pu affecter beaucoup de gens, et pas seulement à cause des pertes d'emplois. Peut-être que certaines personnes se sont dit : « Bon sang, on ne peut rien faire ici. Nous avons annulé l'avion de ligne à réaction, et maintenant, nous annulons l'Arrow. Sommes-nous si mauvais que ça? » Je sais très bien que ce n'est pas ça, qu'il y a d'autres raisons. C'est simplement une déclaration qui… donne à réfléchir.

    Mais je pense que ces dernières années, en tout cas depuis les années 1960, nous avons prouvé que nous pouvons accomplir bien des choses avec un budget très restreint, et faire aussi bien, voire mieux, que n'importe qui. Le bras canadien n'est pas le seul exemple. Nous avons fait des progrès dans les technologies des éléments de batterie, l'informatique quantique, les simulateurs, tout un tas de domaines où le Canada a excellé au fil des ans. Il ne s'agit plus de se lamenter sur la perte de l'Arrow, mais de se tourner vers l'avenir et de se demander comment nous pouvons renverser la situation, ou plutôt, comment rester dans la bonne direction.

    JA : Pour en savoir plus sur l'Avro Arrow à Bibliothèque et Archives Canada, visitez notre site Web à l'adresse bac-lac.gc.ca.

    Merci d'avoir été des nôtres. Ici Josée Arnold, votre animatrice. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada – votre fenêtre sur l'histoire, la littérature et la culture canadiennes ». Un merci tout particulier à notre invité d'aujourd'hui : Palmiro Campagna. Merci également à Isabel Larocque, Théo Martin et Michel Guénette pour leur participation. La musique de cet épisode a été fournie par Blue Dot Sessions.

    Cet épisode a été produit et conçu par David Knox.

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Animatrice : Josée Arnold, gestionnaire, Gouvernance, Liaison et Partenariats

Invité : Palmiro Campagna, auteur, chercheur et ingénieur à la retraite

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